C'est avec tristesse que le milieu littéraire et journalistique a appris vendredi le décès de Gil Courtemanche, des suites d'un cancer. La dernière bataille d'un homme solitaire qui n'a jamais craint la polémique, mais qui se désolait d'avoir raté sa vie intime. Portrait d'un homme sans concessions.

On le savait malade depuis longtemps. Il ne s'en cachait pas. En 2010, il a publié un roman-testament, au titre bouleversant, Je ne veux pas mourir seul, dans lequel la douleur d'avoir perdu la femme aimée l'emportait sur la maladie et la peur de la mort. Il nous avait confié: «Je tenais plus à cet amour qu'à la vie comme telle, et je l'ai perdu. J'ai raté ma vie».

Il parlait bien sûr de sa vie intime, dont l'échec selon lui reléguait à l'ombre toutes ses réussites, qui furent pourtant nombreuses. On ne sait qui du journaliste ou de l'écrivain nous manquera le plus, car, dans tous les domaines, il aura imposé le respect.

Reporter depuis 1962, il a été le concepteur et l'animateur de L'Événement, de l'émission Enjeux à Radio-Canada, ainsi que de Contact à Télé-Québec. Il a été correspondant et analyste au Point, à Télémag, et Première Page. À l'écrit, on a pu le lire dans La Presse, Le Soleil, Le Droit ou L'Actualité, jusqu'à sa dernière collaboration au Devoir. Il aura aussi réalisé des documentaires, dont L'Église du sida, qui lui inspira en partie son premier roman, Un dimanche à la piscine à Kigali, immense succès littéraire traduit dans 23 pays, et adapté au cinéma par Robert Favreau. Cette oeuvre a fait de lui l'un des écrivains d'ici les plus reconnus à l'extérieur du Québec.

Dans ce roman d'amour sur fond de génocide rwandais, on retrouvait l'observation impitoyable de l'analyste tout autant que la sensibilité de l'homme réputé solitaire. Cette solitude, «c'est l'image la plus forte que j'ai de lui, a confié Dany Laferrière. Ce regard acéré qu'il jetait sur le monde l'empêchait parfois de goûter à de simples joies. D'un autre côté, c'était un chroniqueur exceptionnel et un écrivain de talent. Dans la ligne des grands pamphlétaires du Québec.»

Pascal Assathiany, directeur général de Boréal, a édité tous les livres de l'écrivain, qu'il connaissait depuis «au moins 25 ans». Il absorbait vendredi le choc: Gil Courtemanche allait mieux ces derniers temps, et sa mort a surpris son entourage. «Ce n'était pas prévu comme ça», dit-il doucement.

Il laisse derrière lui une oeuvre significative, estime l'éditeur. Rares sont les auteurs québécois qui ont réussi à raconter le monde et ses grands fracas. «Ses modèles étaient Camus et Malraux. Surtout Malraux. Il avait compris que la littérature peut dire beaucoup plus de choses que la simple description de la réalité.»

Anne-Marie Courtemanche raconte pourtant que son père a mis du temps avant d'admettre qu'il était écrivain. «Il se sentait imposteur. L'écriture de romans est arrivée tard dans sa vie, et il a fini par accepter qu'il était capable de bien le faire.» Mais sa fille estime que le mot qui décrit le mieux son père est «engagé». «Il était intègre et passionné, s'est tenu debout en accord avec ses principes même quand il n'en avait pas les moyens. C'était non négociable.»

C'est ce que retient aussi Pascal Assathiany un homme sans concession, «pas reposant, mais attachant», qui n'avait pas une propension au bonheur. «Il était d'une indépendance totale, fatigante et admirable. Sa capacité à prendre la parole nous manquera. Il pouvait faire un scandale sans se soucier des conséquences que ça aurait pour lui.»

Sa récente chicane avec l'empire Quebecor en est un exemple. Il avait exigé que son roman soit retiré de la liste des Prix Archambault, par solidarité avec les employés en lock-out du Journal de Montréal, qu'il a défendus aussi dans ses chroniques. En digne fille de son père, Anne-Marie Courtemanche a refusé vendredi les demandes d'entrevue provenant du groupe Quebecor. «Je ne pouvais juste pas faire ça, il ne me l'aurait jamais pardonné.»

Gil Courtemanche signait depuis cinq ans une chronique hebdomadaire dans Le Devoir. Il avait créé un lien très fort avec les lecteurs qui aimaient ses opinions tranchées, son regard différent sur le monde et sa rigueur. C'est le directeur du quotidien, Bernard Descôteaux, qui l'avait embauché. «Je l'ai remarqué pour la première fois alors qu'il était chroniqueur international au Soleil, à la fin des années 70. Il donnait toujours un éclairage pertinent, c'était une grande plume et un grand journaliste, dans la plus grande tradition.»

Et c'est sa capacité de s'indigner qui était probablement sa plus grande force, croit Bernard Descôteaux. «L'injustice sociale était pour lui une grande préoccupation, il était incapable de rester froid devant ça. Mais son indignation était toujours appuyée sur des faits, de l'information.»

Intransigeant et solitaire, Gil Courtemanche a cependant fini par s'isoler. «Il n'a jamais fait l'unanimité et s'était mis à dos plein de gens, raconte sa fille. Il n'avait plus beaucoup d'amis.» Au cours des deux dernières années, après une rupture difficile et la maladie, il a commencé à avoir des regrets. «Il a compris que le succès ne fait pas le bonheur, que ce n'est pas ce qui compte.»

Gil Courtemanche avait fêté ses 68 ans à l'hôpital mercredi, entouré de ses proches. Il est mort vendredi matin vers 7h. «On pensait qu'on avait encore plein de temps», dit sa fille. Pascal Assathiany rappelle le titre de son roman Je ne veux pas mourir seul. «C'était un livre prémonitoire, malheureusement.»

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Bibliographie

Douces colères, VLB 1989

Chroniques internationales, Boréal 1991

Nouvelles douces colères, Boréal 1999

Un dimanche à la piscine à Kigali, Boréal, 2000

La seconde Révolution tranquille, démocratiser la démocratie, Boréal, 2003

Une belle mort, Boréal, 2003

Le monde, le lézard et moi, Boréal, 2009

Je ne veux pas mourir seul, Boréal, 2010