VLB éditeur a remis hier le prix Robert-Cliche du premier roman à Ryad Assani-Razaki pour La main d'Iman, dont le souffle et la profondeur ont su séduire le jury présidé par Catherine Mavrikakis. Ryad Assani-Razaki avait déjà publié un recueil de nouvelles il y a deux ans, Deux cercles, récompensé par le prix Trillium. Manifestement, le jeune auteur est promis à un bel avenir.

À 29 ans, Ryad Assani-Razaki affirme qu'il a «toujours écrit», sans nécessairement vouloir publier. L'informaticien de 29 ans - il a fait sa maîtrise à l'Université de Montréal-, qui partage sa vie entre Montréal et Toronto, s'est senti prêt à aller de l'avant avec cette histoire qui lui semblait enfin la bonne.

C'est en retournant régulièrement au Bénin, son pays d'origine - il vit au Canada depuis 2004- qu'il a récolté les histoires qui ont mené à La main d'Iman, récit poignant qui se déroule dans les quartiers défavorisés d'une grande ville de l'Afrique noire. «Je devais réfléchir à ce que je voulais dire avec ça, et comment je voulais le dire», dit-il, calme et posé, pas du tout excité par l'obtention de son prix.

Ryad Assani-Razaki a reçu les confidences de ceux qu'on n'écoute jamais et c'est ainsi qu'est née l'histoire d'Iman, jeune homme mystérieux issu de l'union d'une Noire et d'un Blanc et qui ne rêve que d'une chose: partir. Mais qui est vraiment Iman? On ne le saura jamais, puisque ses gestes et ses paroles sont filtrés par son entourage. Chaque chapitre est en effet consacré à l'un deux et montre une facette de lui, sans jamais qu'on puisse entrer dans sa tête. «Iman est vide et tout le monde puise en lui, chacun l'utilise à ses fins», explique l'auteur.

Si on entend la grand-mère, la mère et le frère d'Iman, ce sont surtout Toumani, jeune homme qui a été vendu par ses parents et qui vit avec les séquelles de la violence subie pendant son enfance, et Alyssa, vendue elle aussi, éternelle servante libre dans sa tête, qui sont au coeur de l'histoire.

Ryad Assani-Razaki sait qu'il a écrit un livre dur. «Mais je n'ai jamais eu l'intention de choquer», même s'il admet que le premier chapitre (entre autres), qui raconte la vente de Toumani à un réseau de trafic d'enfants puis son séjour apocalyptique chez monsieur Bia, «est choc». Mais c'est aussi la réalité, dit-il, une réalité d'aujourd'hui vécue dans plusieurs pays du Tiers-Monde. «Si tu tends une oreille, les gens racontent des choses dures, dit-il doucement, estimant qu'il a écrit un livre modéré qui ne vise pas à inspirer la pitié. Je parle des choses comme elles sont. Rien n'est exagéré.» Ni la vie dans le bidonville, ni la relation entre la maîtresse de maison et ses bonnes, ni la violence des gangs.

Le chemin vers l'immigration

« Je voulais raconter le chemin qui mène à l'immigration. Qu'est-ce qui fait que les gens désirent partir?» Aux nouvelles, constate-t-il, on voit toujours la fin du voyage: les clandestins noyés en mer, ou arrêtés lors de leur arrivée en Occident. «On voit ces gens qui sont prêts à tout pour partir et on se dit «Mais ils sont fous!» Ce livre est comme un rêve d'ailleurs, qui peut tourner au cauchemar pour certains. Mais Iman refuse de voir que ce cauchemar existe, parce qu'après le rêve, il ne reste rien et que la réalité est inacceptable.»

Il a donc décidé de montrer le terreau dans lequel le désir de partir prend racine. Son portrait est parfois bien terrible. «C'est culturel! Et des fois, c'est horrible, oui, surtout que ça se répète de génération en génération.» S'il est content de faire réfléchir avec son histoire et qu'il est heureux qu'elle soit entendue, son but était d'abord de créer des personnages crédibles sans tomber dans les archétypes. «Toumani par exemple n'est pas mauvais. Il est le résultat de ce que les autres ont mis en lui.»

Il a d'ailleurs beaucoup soigné ces enfants écorchés, les a rendus vivants, palpitants. «Ils sont le corps du livre. Comme lecteur, j'aime Toni Morrison, Nathalie Sarraute, Annie Ernaux, VS Naipaul. Des gens qui écrivent sur des gens.»

Il espère maintenant trouver une autre histoire qui l'allumera autant. Pas question cependant d'arrêter de travailler pour se consacrer à l'écriture, même s'il vient de remporter la substantielle somme de 10 000$. «Si je ne vis pas ma vie, sur quoi je vais écrire? Il faut faire ce qu'on a à faire.»

La main d'Iman Ryad Assani-Razaki L'Hexagone, 319 pages

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Le Prix Robert-Cliche



Chaque année depuis 1979, VLB éditeur remet le prix Robert-Cliche du premier roman, choisi parmi les manuscrits - signés par des pseudonymes - reçus dans le cadre d'un concours. Robert Lalonde (La belle épouvante) et Chrystine Brouillet (Chère voisine) en sont les plus célèbres lauréats. Olivia Tapiero, Danielle Trussart, François X. Côté et Jean-Robert Sansfaçon font aussi partie de la liste, et le prix n'a pas été attribué qu'une seule fois, en 1995. La gagnante de 2010, Louise Lacasse, s'est vu retirer son prix au printemps dernier après qu'on eut découvert qu'elle avait déjà publié un roman sous un nom d'emprunt. Il a finalement été remis à Simon Lambert pour La Chambre. En plus de voir son roman publié, le gagnant reçoit une bourse de 10000$. Cette année, le jury était composé de Catherine Mavrikakis, Andrée Ferretti et Pierre Cayouette.

La main d'Iman de Ryad Assani-Razaki.