Entre conte et mythologie, entre histoires vraies et vraies menteries, l'inclassable Arvida, première oeuvre de fiction de Samuel Archibald, remet au goût du jour les histoires de peur qu'on se raconte au coin du feu et renoue le fil entre les générations. Un conteur est né.

«Ma grand-mère la mère de mon père disait souvent: Y'a pas de voleurs à Arvida.» Fabuleux départ pour ce livre qui s'amorce avec ce clin d'oeil complice du narrateur, l'air de dire «Venez, je vais vous en raconter une bonne». On comprend que le choix de qualifier Arvida de recueil d'histoires, plutôt que de nouvelles ou de récits, n'est pas anodin. «C'est comme un cyclorama, opine Samuel Archibald. Comme si on ouvrait un livre d'histoires pour enfants, mais pour adultes.»

Prof de littérature et de cinéma, amateur de culture populaire - ses spécialités: la science-fiction, le cinéma d'horreur et le roman policier-, Samuel Archibald nous amène dans un monde où l'exagération est de mise et où les anecdotes familiales se transforment en légendes. Même s'il se promène entre les lieux et les genres littéraires, son recueil se lit pourtant comme un roman, car jamais il ne s'éloigne de son fil conducteur, Arvida et les gens qui l'habitent.

«Je vois ce livre comme un voyage. Un voyage dans le temps, parce qu'il y a un ping-pong entre aujourd'hui et hier. Un voyage dans l'imaginaire, dans mes cauchemars et mes rêves. Et un voyage dans mes souvenirs et dans ceux des gens que j'ai interviewés.»

Samuel Archibald a en effet recueilli les témoignages de son entourage, son père, ses amis, une joyeuse bande de fabulateurs qui ont manifestement eu une influence sur lui. «Ces bonshommes sont tellement conteurs que tu sais que tu vas rester dans la fiction. Comme je ne voulais pas écrire un livre historique, ça faisait mon affaire.»

Le défi était donc de «raconter sans mentir». «Pas juste inventer n'importe quoi. En inventant, toucher la vérité un petit peu.» La réalité a de toute façon toujours été une «bougie d'allumage» pour lui. C'est aussi une des quêtes du narrateur, qui se demande quel genre de littérature peut être issue d'une culture de McCroquettes, évoquant ainsi les madeleines de Proust. «Pas grand-chose. Mais on peut trouver des remplacements.»

Communauté

L'histoire d'Arvida, ville modèle industrielle du Saguenay bâtie par et pour une usine d'aluminium en 1925, produit de la pensée utopique de l'époque, est à l'origine de ce livre. C'est là que Samuel Archibald est né, et le destin de sa famille est étroitement lié à celui de la ville. Il en décortique la mythologie, l'invente parfois, entre un couguar qui hante les Monts-Valin et un ours apprivoisé, une partie de hockey contre les anciens Canadiens -histoire véridique et hilarante, pour laquelle il a accumulé les sources, question de «faire gonfler le gâteau»!- et une maison hantée par l'esprit de deux frères handicapés.

Ses personnages sont des petits bandits, des marginaux ou des femmes mystérieuses, vivent dans le bois ou dans une maison isolée. Ils sont drôles et intrigants, et ont tous un sens de la communauté bien aiguisé -ce qui n'est pas étranger au concept de la ville elle-même, croit-il.

Au-delà de cette communauté, les liens familiaux traversent Arvida, qui distille une grande tendresse pour ses personnages. Malgré ses histoires d'horreur et la franche rigolade qu'il inspire parfois, c'est l'amour et le respect entre une grand-mère et son petit-fils qui restent imprimés. «Il n'y a rien de nostalgique dans ce livre. Je suis très conscient que mes grands-parents n'ont pas eu la vie facile, et qu'ils ont travaillé très fort pour donner une vie meilleure à leurs enfants et petits-enfants. Mais on m'a passé quelque chose de cette époque, et je veux en témoigner.»

Avec la même démarche qu'un Fred Pellerin ou un Michel Faubert, il y a un devoir de mémoire derrière le travail de Samuel Archibald. La comparaison avec Fred Pellerin, il l'accepte, tout en avertissant que chez lui «Babine s'automutile et que les Hells débarquent». Mais comme Fred Pellerin, il fait le lien entre les générations. «Notre travail se ressemble dans le fait de réinventer le folklore. À un moment, je trouvais que mon livre était noir, parce que je constatais que le fil de la transmission avait été coupé. Mais je me rends compte qu'on peut le rattacher aussi, sans qu'il soit exactement le même, avec beaucoup de verve et d'imagination.»

Un chemin

Samuel Archibald écrivait ses histoires depuis des années lorsque les éditeurs du Quartanier l'ont convaincu de les sortir de ses tiroirs pour en faire un livre. Longtemps, il s'est demandé s'il ne les transformerait pas en roman, mais une chronique familiale plus traditionnelle l'aurait obligé à faire trop de choix, à élaguer et à mettre de côté des personnages. Il a préféré faire d'Arvida un chemin dans lequel on se promène, choisissant soigneusement l'ordre des histoires. Ce qui lui a permis la multiciplicité des formes - digressions sur la façon de prononcer le mot ours, improbables notes de bas de page -, des voix et du langage, dans «un mouvement de balancier vernaculaire», qui va de la langue de Tremblay à la neutralité d'un narrateur.

La réception très positive des premiers lecteurs le rend heureux, mais Samuel Archibald espère surtout être lu par ceux dont il parle. «Le buzz est bon, mais c'est la rue qui va décider si le livre décolle ou non...» Et le jeune auteur assume de plus en plus son côté «populaire», lui qui a fait la paix avec sa capacité de susciter des émotions. «J'aime la littérature d'effets qui fait rire, pleurer, ou qui horrifie. Mais il y a toujours cette dualité entre l'écrivain qu'on est et celui qu'on voudrait être. Je ne serai jamais Bataille ou Proust, mais je suis moi en dialoguant avec Proust et en trouvant ma propre madeleine.»

Arvida

Samuel Archibald

Le Quartanier, 334 pages