Qu'est-ce qui a bien pu motiver une auteure de nouvelles et de livres pour enfants, jeune mère de deux bambins d'âge préscolaire, à publier une brique de presque 500 pages recréant sous forme de fiction le rapport entre Aristote et son élève Alexandre le Grand? «J'adore la Grèce antique», confie Annabel Lyon, dans un salon de thé de la rue Saint-Denis.

Il a fallu sept ans et demi à cette native de Brampton en Ontario, qui vit désormais en Colombie-Britannique, pour écrire Le juste milieu (The Golden Mean, dans sa version originale), roman où, dans une langue moderne, elle décrit les années de l'Académie de Platon. À force de patience, de longues recherches et à coups de 200 mots par jour (entre les boires, les couches à changer et les dodos), elle a accouché en 2009 d'un succès inattendu.

«J'ai eu l'idée d'écrire ce livre après les événements du 11 septembre 2001. Il s'agissait d'une période de ma vie où je me questionnais sur l'utilité d'inventer des histoires sur des personnages imaginaires», confie cette grande fille bouclée au ton nerveux, qui a été la première étonnée par le succès de son livre.

De ses études en philosophie, Annabel Lyon a conservé une passion pour l'éthique aristotélicienne, qu'elle perçoit comme une référence toujours aussi pertinente pour aspirer à une vie heureuse et équilibrée. «J'ai réalisé qu'Aristote était un personnage qu'on ne connaît plus. Enfin, on associe son nom à un homme européen mort. Mais qui, de nos jours, peut décrire sa pensée?»

Et pourquoi opter pour la fiction romanesque et non l'essai philosophique? «Je ne suis pas une experte en philosophie, je n'ai pas de doctorat. Or, je me disais qu'en ayant recours à la narration et en inventant une histoire autour de ces personnages, il serait possible de rendre la pensée d'Aristote plus accessible.»

Annabel Lyon a eu l'intuition juste en s'appropriant ainsi des personnages de la Grèce antique. L'année suivant sa parution, The Golden Mean a décroché le prix Rogers Writers' Trust et a été mis en nomination pour le prix Giller et celui du gouverneur général. Le roman est à ce jour traduit en 13 langues. «Plusieurs personnes m'ont dit qu'elles craignaient de lire mon roman, parce qu'elles n'avaient pas de background en philosophie et craignaient que le propos soit trop ardu ou aride. En fin de compte, elles se disent presque étonnées d'avoir aimé le roman et de vouloir lire Aristote. Je trouve tout cela très gratifiant.»

Aristote, universel et contemporain

Dans Le juste milieu, on retrouve donc un Aristote qui arrive à Pella, capitale de la Macédoine, et reconnaît dans Alexandre le Grand un esprit fin qu'il veut forger. À la pensée guerrière d'Alexandre, Aristote opposera son idéal de «juste milieu.» Pour s'amuser, Lyon a créé un Alexandre exigeant, têtu et rébarbatif, bref à l'opposé de son image d'être superbe, sexy et ingénieux.

«Ce dont Aristote parle est cette idée que dans le comportement humain, il faut essayer d'éviter les extrêmes pour trouver l'équilibre. Et il ne s'agit pas de céder à la médiocrité ou encore de se contenter d'être moyen, mais plutôt d'exceller en gardant sa stabilité.»

À la parution de The Golden Mean, certains lecteurs ont été étonnés d'y retrouver un langage très moderne et des expressions assez crues.

«C'est un choix conscient et assumé. Je ne voulais pas écrire un roman historique qui décrit des gens en toge qui, dans une langue ancienne, disent des choses comme «Où est mon gobelet!?» Je voulais faire parler mes personnages dans un anglais de la Colombie-Britannique, parce qu'après tout, Aristote est mon héritage intellectuel. Il m'appartient, tout comme il appartient au monde. Il a été la première personne à faire des dissections animales. Sa contribution à la médecine et à la science est énorme.»

Une décennie après le 11 septembre 2001, Annabel Lyon n'est plus cette jeune femme qui avait besoin de retourner à Éthique à Nicomaque. Forte du succès inespéré du Juste milieu, elle travaille présentement sur une seconde partie qui explore l'univers des femmes, à l'époque de la Grèce antique. Pythias, la fille d'Aristote, en sera l'héroïne principale. Et entre ses tournées littéraires et son rôle de maman, elle essaie aussi, parfois, de trouver son juste milieu.

«On me demande toujours si j'y arrive, et c'est une question fort légitime. Mais je pense qu'il est utopique de trouver une stabilité parfaite. Par exemple: me voilà malheureuse dans cette tournée, parce que je suis loin de mes enfants. Et quand je suis à la maison, j'angoisse parce que je n'ai pas le temps d'écrire.»

Le juste milieu

Annabel Lyon Alto,

447 pages