C'est l'un des enfants terribles des lettres québécoises qui, livre après livre, explore ce qui fait mal, expose l'insupportable, dans une écriture jouissive de la colère. Dans son nouveau roman, Catherine Mavrikakis nous présente les derniers jours d'un condamné à mort, mais aussi les derniers jours de ceux qui ont été condamnés à vivre avec des souvenirs sanglants. Parce que chez Mavrikakis, personne ne s'en sort indemne...

Peut-on changer d'avis dans un débat aussi fondamental que celui de la peine de mort? Le dernier roman de Catherine Mavrikakis est dédié à David R. Dow, avocat texan qui défend les condamnés à mort, auteur de The Autobiography of an Execution. C'est un homme qui, justement, a changé d'idée. «J'ai lu son autobiographie et j'ai beaucoup aimé cet homme qui raconte son rapport personnel à la peine de mort, car au départ, il était pour, dit Catherine Mavrikakis. Pour moi, c'est un symbole, et ça me fascine qu'il ait changé à ce point d'avis. Cela veut dire que s'il peut changer, d'autres aussi peuvent changer.»

Le Smokey Nelson de son roman a commis un massacre insensé et attend depuis une vingtaine d'années dans le couloir de la mort. On ne saura qu'à la toute fin ce qu'il adviendra de lui. Car auparavant, ce sont les derniers jours de ceux qui ont croisé la route de Smokey qui sont racontés. Sidney Blanchard, fan de Jimi Hendrix, qui a bien failli être épinglé à la place de Smokey en raison de sa couleur de peau. Pearl, qui a flirté avec Smokey juste après ses meurtres, et qui ne sait toujours pas pourquoi il l'a épargné. Enfin Ray, père d'une des victimes, farouche croyant en un dieu vengeur qui finira bien par le récompenser de sa peine en punissant Smokey. Des voix extrêmement différentes, mais toutes soudainement ébranlées et ramenées dans le passé par l'annonce de l'exécution de Smokey Nelson.

Catherine Mavrikakis est contre la peine de mort. Mais, à la limite, on pourrait dire qu'elle est contre la mort elle-même, ce scandale insupportable qui ne cesse de hanter ses romans, des Deuils cannibales et mélancoliques au Ciel de BayCity, couvert de prix. Tous les personnages de son dernier roman ont rendez-vous avec la mort, mais seul Smokey Nelson connaît son heure. «Je voulais montrer que, de toute façon, la mort est absurde, dit-elle. On meurt toujours pour les mauvaises raisons. Nous ne sommes pas égaux devant la mort, c'est comme ça, on ne peut rien y faire.»

L'absurdité de la peine capitale pourrait bien être un pathétique besoin de contrôle sur l'inéluctable. Car si la mort n'a aucun sens et peut frapper n'importe qui, n'importe quand, seul Smokey Nelson, dans ce tableau, peut lui donner un sens en étant exécuté. «Je suis contre la peine de mort parce que c'est définitif et qu'on croit qu'on ne peut pas faire d'erreurs, explique l'écrivain. Que les gens ne peuvent jamais changer. La seule chose que j'ai retenue de la religion catholique, c'est qu'on peut accéder à un pardon. Pour moi, il faut croire qu'on peut changer. Condamner à mort, c'est condamner quelqu'un à n'être qu'une seule chose.» Et c'est bien ce qui trouble Pearl dans le roman, cette certitude d'avoir vu autre chose en Smokey qu'un monstre.

Le besoin de sens, ce fascisme

L'abolition de la peine de mort est trop récente pour qu'on considère ce fait comme un droit acquis, estime Catherine Mavrikakis, qui s'inquiète de l'influence des États-Unis sur le Canada dans ce débat. On n'a qu'à voir combien cette option semble séduisante pour certaines personnes horrifiées par le crime de Guy Turcotte, par exemple. «Les gens sont tellement certains de la culpabilité des autres, note-t-elle. Mais il y a des droits, des lois. Qu'est-ce qu'on va faire, lyncher? Une loi, c'est quelque chose de moyen, d'imparfait, c'est un compromis. La loi ne peut pas être équivalente au meurtre, même la mort ne peut être assez grande pour soulager les gens d'un crime. Ce n'est pas la justice qu'on recherche, c'est la vengeance.»

Car au moins, la vengeance a un sens pour ceux qui souffrent. «Je crois que les gens ont besoin de trouver du sens. Mon roman veut montrer qu'il n'y a pas de sens et qu'il faut vivre avec cette absence de sens. Car trouver du sens est peut-être le début d'un certain fascisme. Dans un besoin de se créer des balises, une sécurité.»

Apprendre à vivre dans le flou de l'existence est peut-être ainsi le début de la sagesse. «En vieillissant, confie Catherine Mavrikakis, j'ai perdu beaucoup de sens dans la vie, j'ai un rapport plus anarchique et chaotique au sens. Quand j'étais jeune, j'avais l'impression de savoir. La mort avait même quelque chose d'héroïque. On pouvait se suicider. Mais vieillir, c'est mourir sans héroïsme, c'est ça qu'il faut accepter.»

Les derniers jours de Smokey Nelson

Catherine Mavrikakis

Héliotrope, 304 pages