«Écrire me tient à distance de la dépression», avoue Philip Roth, l'une des légendes de la littérature américaine, dans un exceptionnel entretien face à la caméra au cours duquel l'écrivain de 78 ans parle à bâton rompu de sa vie et confie son obsession de la mort.

L'auteur, réputé fuir les interviews télévisées, a reçu longuement le réalisateur William Karel et la journaliste Livia Manera dans son appartement de l'Upper West Side à New York et dans sa propriété au coeur d'une forêt du Connecticut.

Dans ce documentaire intime et émouvant, «Philip Roth sans complexe», diffusé sur Arte le 19 septembre, il se raconte sans fard, livre des anecdotes avec un humour pince-sans-rire, parle de sa jeunesse, sa famille, de son identité juive, d'amour et de sexe, de politique, de la psychanalyse, de la célébrité et analyse le processus de sa création littéraire.

Premier étonnement, c'est debout, devant un pupitre, et à la main, que l'auteur de «La Pastorale américaine» écrit. «Un livre me prend de un à trois ans. Dès que j'ai terminé un manuscrit, j'en fais quelques copies et je l'envoie à des amis dont j'apprécie les critiques», explique-t-il. Parmi ces premiers lecteurs, l'actrice Mia Farrow.

«Je ne me vois pas arrêter d'écrire, dit-il. Quand je n'écris pas, je suis dépressif, anxieux. Écrire me tient à distance de la dépression», confie l'écrivain dont le prochain roman, «Le rabaissement» (Gallimard), sort le 29 septembre.

Quand il souffre trop du dos, il explique avoir envisagé le suicide. «Mais je ne veux pas ajouter mon nom à la longue liste de tous les auteurs qui se sont suicidés !», lance-t-il. «Et je veux relire tous les livres que j'aimais dans ma jeunesse avant de mourir...»

Après le triomphe de «Portnoy et son complexe», en 1969, vendu à 350 000 exemplaires en un mois et qui lui a apporté une renommée internationale, Philip Roth a reçu des centaines de lettres de femmes, dont beaucoup avec des photos de ses admiratrices en bikini, se rappelle-t-il avec un sourire.

Dans ce roman provocateur et subversif, le héros confie à un psychanalyste ses fantasmes, ses obsessions...

«Tout le monde pensait que Portnoy, c'était moi. Les gens m'apostrophaient dans la rue : +salut Portnoy !+», se souvient-il. Un chauffeur de taxi qui s'appelait Portnoy lui avait aussi reproché d'être sans cesse importuné...

«J'adore écrire sur le sexe. Vaste sujet ! Mais la plupart des événements racontés dans mes livres n'ont jamais existé», assure-t-il. «Même s'il faut quelques éléments de réalité pour commencer à inventer...»

Avant ce succès à l'âge de 36 ans, Philip Roth reconnaît qu'il n'avait jamais gagné d'argent, et explique comment ses autres personnages, Kepesh, le séducteur compulsif, ou Nathan Zuckerman, ne sont pas non plus ses alter ego.

«Je ne suis qu'un pauvre vieux type qui va bientôt mourir et dont tout le monde se fout», conclut-il, démentant aussitôt ces sombres propos par un éclat de rire plein de vitalité.

(«Philip Roth sans complexe» - Arte - le 19 septembre à 22H20)