Miroir déformant d'un monde individualiste qui carbure à la performance et à la quête de célébrité, Baldam l'improbable, oeuvre satirique de Carle Coppens, tire sur tout ce qui bouge, fait rire et grincer les dents. Un premier roman tout aussi exaspérant que brillant.

On a connu Carle Coppens jeune poète, récipiendaire du prix Émile-Nelligan pour Poèmes contre la montre, en 1996. Il a été brièvement critique littéraire à La Presse au début des années 2000, et a publié son deuxième recueil, Le grand livre des entorses, en 2003. Depuis, plus de nouvelles de ce trentenaire qui mène une brillante carrière de publicitaire: il est depuis un an et demi vice-président et directeur de création de l'agence Brad, après avoir travaillé chez Publicis et BCP.

«Ce n'est pas parce que je ne publiais pas que je n'écrivais pas», dit Carle Coppens en souriant, racontant que l'écriture de ce livre a été pour lui «un espace de liberté». La première version de Baldam l'improbable a été écrite en 1999 deux chapitres qui n'ont pas survécu, et celle qui vient d'arriver en librairie a été commencée... il y a huit ans. «Physiquement, j'ai traîné le manuscrit avec moi, il était tout le temps là. Mais à un moment, il a fallu qu'il existe.»

Baldam l'improbable est né du désir de créer un antihéros «dont le seul pouvoir était de rester lui-même, explique l'auteur. Il n'est pas pour ou contre le changement, mais reste intègre en gardant ses distances.» Mas Baldam, marié à Alice, experte en soliloques, père d'«enfants doubles», dont la mère «rajeunit plus que le raisonnable» et le père est «mort deux fois couvert de honte», n'a jamais réussi à répondre aux attentes placées en lui. Testeur en chef dans une grande entreprise, il se doit de «générer de l'avant» pour enfin atteindre le Cercle 5000.

Son personnage vit ainsi dans un système dont le classement est la structure, dans une espèce de téléréalité à ciel ouvert où les caméras de surveillance («capteurs») sont placées à chaque coin de rue. Les habitants doivent en plus remplir des «bulletins d'intimité», car pour atteindre le saint des saints de l'influence et de la notoriété, l'intensité est la règle -joie, peine, amour, sexe, tout est quantifié et doit être prouvé. Pour comprendre, il faut lire la surréaliste table des équivalences des querelles amoureuses...

Chaque «autrui» doit ainsi se mettre en scène pour amasser des points. Mas Baldam, toujours entre deux eaux, se démarque donc en étant... «extraordinairement moyen». Carle Coppens constate aujourd'hui que la réalité l'a rattrapé. «Quand j'ai commencé à écrire, c'était avant qu'on tombe dans l'obsession du nombre d'amis qu'on a sur Facebook, ou de followers sur Twitter. On est dans une société basée sur les chiffres, les rangs, et notre valeur est calculée à partir de ça.»

Mauvaise foi

Ce monde que décrit Carle Coppens, mené par la surenchère d'émotions, le culte de la jeunesse, la quête de célébrité et l'obligation de réussir, donne froid dans le dos. On n'a pas envie d'y vivre... pourtant on y est déjà un peu. «Ce n'est pas un roman d'anticipation, souligne-t-il d'ailleurs. Je n'ai pas inventé grand-chose. C'est vrai que le livre fait preuve d'une mauvaise foi galopante, mais il est souvent en deçà de la réalité...»

L'auteur ne se pose pourtant pas en juge -»Je suis partie prenante de ça». Il a surtout pris plaisir à grossir le trait, dans cette «tragicomédie dont les codes sont exagérés jusqu'à l'absurde». C'est pourquoi le récit semble réaliste tout en ne l'étant pas du tout. «J'ai pris des libertés avec le réel et si je n'en avais pas besoin, il passait à la trappe. On ne sait pas vraiment quand ça se passe, ni où. En Europe? En Amérique du Nord? Le temps et le lieu appartiennent au livre seulement.»

La langue aussi. En cours d'écriture, Carle Coppens dit s'être méfié du publicitaire en lui, évitant formules-chocs, raccourcis et effets de style -»Sauf pour une pub sur les préarrangements funéraires «Payez maintenant, profitez-en plus tard», je trouvais ça trop drôle.» Le poète, lui, a aimé inventer ce langage dense qui répète, appuie et détourne, dans des phrases souvent très longues mais construites avec une minutie maniaque. Une écriture volontairement décalée, explique-t-il, puisque le discours des personnages est corrompu par leur volonté de se démarquer.

«Ce n'est pas un livre difficile il y en a des plus rebutants, et je dois avouer que des versions précédentes de Baldam étaient pas mal plus abruptes. Mais je sais qu'il est exigeant. J'aime la littérature qui a un point de vue, qui brasse.»

Se retrouver de nouveau sous les projecteurs grâce à ce livre amuse Carle Coppens - «Je grimpe au classement!» -, mais il semble un peu surpris de l'intérêt qu'il suscite. «Peut-être que la thématique est à la mode. Mais j'ai peur, en parlant de mon livre, de lui donner l'air plus compliqué qu'il ne l'est. Oui, il demande des efforts, mais il y a aussi des passages burlesques, des émotions. Quelqu'un qui décide d'y entrer va voir un livre se déployer. J'espère que chacun y trouvera sa place, et une résonance.»

Baldam l'improbable

Carle Coppens

Le Quartanier, 435 pages