On a remis cette semaine le Bad Sex in Fiction Award à David Guterson pour une scène de son roman Ed King, inspiré du mythe d'OEdipe. Bon joueur, le lauréat a déclaré: «OEdipe est pratiquement celui qui a inspiré le Bad Sex, donc je ne suis pas surpris.»

Ce prix britannique, créé en 1993, couronne méchamment la pire scène de sexe de l'année dans un roman. Faut-il s'en étonner? Depuis presque 20 ans, à l'exception de deux femmes, ce sont tous des hommes qui l'ont remporté. John Updike a même reçu ce prix en 2008 pour l'ensemble de son oeuvre. Qu'est-ce que cela veut dire? Que les écrivains mâles écrivent plus sur le sexe ou écrivent plus «mal» sur le sexe que les femmes?

On peut surtout penser que la libération sexuelle des femmes a eu pour conséquence de mettre en même temps sous microscope la sexualité des hommes. Les écrivains étaient auparavant menacés par la censure, ils sont dorénavant guettés par le ridicule, arme fatale contre l'érection. Ce ne sont pas des histoires sordides comme celles de DSK ou Hermann Caïn qui vont venir redresser - si on peut dire - la situation.

Dans une intéressante analyse du New York Times, publiée en 2008 et traduite par le site booksmag.fr, la journaliste Katie Roiphe n'y va pas de main morte: «On a castré les écrivains américains».

«À la grande époque de la libération sexuelle aux États-Unis, les Roth, Mailer, Updike et autres Bellow savaient mêler vigueur littéraire et vigueur tout court, offusquant à la fois les bigots et les féministes, écrit Katie Roiphe. Aujourd'hui à bout de souffle, ces vieux lions sont reniés par une jeune garde politiquement correcte, dont les romans célèbrent les petits câlins et les amours aseptisées. Pour une culture littéraire qui s'effraie d'être au bord de l'anéantissement, nous sommes affreusement cavaliers avec les grands romanciers masculins du XXe siècle!»

La virilité dans sa définition classique a été une cible de choix aux belles heures du féminisme. Pourquoi, alors que le féminisme est remis en cause, continue-t-elle d'être attaquée? C'est que la révolution sexuelle elle-même est devenue la cible. Dans le roman moderne, le sexe est souvent triste et trash. Plus personne ne semble capable de jouir sans penser au vide de son existence et la déprime post-coïtale vire pratiquement au suicide. Le contrecoup se fait sentir autant dans la littérature des femmes, où l'on se fait enfiler à répétition en refoulant ses larmes ou ne ressentant absolument rien, quand on ne découvre pas le bonheur dans l'abstinence. On se demande vraiment ce qui a pu se passer pour que la révolution sexuelle passe du cul au cul-de-sac à ce point. Comme si Thanatos avait gagné contre Eros.

Philip Roth, qu'on aime décrire comme un écrivain impuissant bêtement parce que c'est le sujet de plusieurs de ses romans, a écrit dans La bête qui meurt: «Sauver les jeunes du sexe, telle est l'éternelle histoire de l'Amérique.»

Pourtant, cette «bête qui meurt» continue de se rebiffer dans tous ses romans, refuse de débander - c'est ça qui choque, en fait - et sa plume demeure vivante même dans la déchéance, comme le prouve son dernier roman, Le rabaissement. Terrible roman, dans lequel un acteur vieillissant, qui a toujours été «solide, abouti», «perd son élan». La dépression le mène à l'hôpital psychiatrique où, en voyant les autres patients, il pense: «Tous les autres restaient assis là dans un silence lugubre, intérieurement sous pression et se préparant à aborder, en puisant dans le vocabulaire de la psychologie de bazar ou de la presse à sensation la plus vulgaire, ou de la souffrance chrétienne, ou de la paranoïa, les thèmes ancestraux du répertoire dramatique: l'inceste, la trahison, l'injustice, la cruauté, la vengeance, la jalousie, les rivalités, le désir, le deuil, le déshonneur et la douleur.»

Le sexe est partout dans ce répertoire.

Le puritanisme prend d'étranges détours. S'offusquer, c'est trop ringard, mais être blasé, c'est cool. Choquer le bourgeois, ça ne fonctionne plus, il a changé d'attitude: devant une scène de sexe, il bâille ou il rit, laissant entendre qu'il est vacciné, mais est-ce vraiment le cas?

Pour joindre notre journaliste: cguy@lapresse.ca