Ses personnages vivent de petits boulots, sont légèrement asociaux et se nourrissent de jeux vidéos, de films de série B, de pizza et de bière. Bienvenue dans l'univers de François Blais, qui réussit à faire de la ville de Grand-Mère un nouveau lieu mythique de la littérature québécoise.

François Blais vit à Québec mais se déplace volontiers pour venir faire une entrevue à Montréal, ville qu'il ne connaît pas beaucoup. Le regard un peu fuyant, pince-sans-rire, peu bavard, on a l'étrange impression qu'il sort tout droit d'un de ses livres. Il l'admet d'ailleurs d'emblée. «Peut-être par manque d'imagination, je parle surtout de ce que je connais. Ces personnages, ils me ressemblent, je les fréquente. Sauf pour mon prochain roman, qui sera plus ambitieux et pour lequel je suis vraiment sorti des sentiers battus, une espèce de roman choral à la Jean-Simon DesRochers.»

C'est d'ailleurs en l'écrivant que, un peu bloqué, il a commencé Document 1, son sixième livre en six ans, en librairie depuis quelques jours et dont la couverture est magnifiquement illustrée par le bédéiste Pascal Blanchet. Il met en scène un couple - il est sur l'aide sociale, elle travaille chez Subway - qui décide de partir en voyage à Bird-in-Hand, en Pennsylvannie. On suivra leurs démarches pour gagner juste assez d'argent pour s'acheter une voiture - disons une minoune- et financer le voyage rêvé, dont la destination a été choisie au hasard parmi une liste de noms de villes bizarres répertoriés dans l'internet.

«Je me suis fait plaisir en revenant à mon monde «normal». C'est vrai que j'aime parler des losers. Mais losers selon qui, selon quoi?» En effet, Tess et Jude ne font de mal à personne, sortes de Bougon inoffensifs vivant légèrement en marge du système, sans l'exploiter. Amateurs de culture populaire et de recherches idiotes sur internet, ils demeurent des lecteurs avertis - Tess en tout cas, narratrice du livre, qui s'est mis en tête d'écrire leur histoire et de la faire publier. «C'est vrai qu'ils sont des lecteurs et qu'ils sont cultivés, mais ils ne font rien de leur vie quand même. Ils ne sont aucunement un rouage utile pour la société!»

«Des histoires de non-rencontre»

Document 1 est un peu le miroir de son précédent roman, La nuit des morts-vivants, dans lequel un garçon et une fille - il fait partie d'une équipe d'entretien de nuit, elle est sur le BS - fin-trentenaires, âmes soeurs potentielles, se frôlent souvent mais ne se rencontrent jamais. «Tous mes livres sont comme ça. Ce sont toujours des histoires de non-rencontre, ou qui n'aboutissent pas. S'il y avait une fin heureuse, ça ne marcherait pas dans mon esthétique.»

Une esthétique dans les tons de gris, où la vie suit son cours tranquillement et s'éclaire parfois du sauvetage d'un chien ou d'une soirée de beuverie. Pourtant, on rigole beaucoup chez François Blais. «Quand j'essaie d'être profond, je deviens insignifiant. Mais ça doit être pour ça que je ne gagne jamais de prix, on ne me prend pas au sérieux. Je veux gagner le prix Ringuet! Mais c'est quoi, au juste, le prix Ringuet?»

Dans Document 1, un passage absolument réjouissant décrit les «stars littéraires» originaires de Grand-Mère, un autre raconte toutes les démarches pour obtenir une subvention du Conseil des arts, suivi d'une recherche exhaustive - et infructueuse - sur les politiques éditoriales des maisons d'édition québécoises. Le ton est léger, le regard aiguisé, le résultat faussement naïf. «Je n'ai pas de message à passer, rien à faire dire à mes personnages. Je ne suis pas comme d'autres écrivains qui attendent d'avoir quelque chose à dire pour écrire, pour qui c'est une question de vie ou de mort. Si j'avais attendu, je n'aurais jamais rien écrit!»

Malgré sa tendance à l'autodénigrement - il répète par exemple que son sujet, un livre sur quelqu'un qui écrit un livre, n'est pas «très original» -, François Blais est plus volontaire qu'il n'en a l'air. C'est à 30 ans, les tiroirs pleins de petites histoires , qu'il a osé terminer et soumettre un premier manuscrit. «Je me disais: un jour je vais publier, j'ai bien le temps. À 30 ans, je me suis rendu compte que si je ne le faisais pas là, il serait trop tard.» Ce premier livre n'a jamais vu le jour: la maison d'édition qui l'avait accepté a fermé ses portes.

Il est revenu à la charge avec un autre (Iphigénie en Haute-Ville, finaliste en 2007 au Prix des libraires et au Prix France-Québec), accepté par plusieurs maisons. C'est L'Instant même, à Québec, qui lui a semblé la plus respectueuse de sa personnalité. «Il y a des éditeurs qui te disent oui, mais ensuite ils veulent te faire élaguer, enlever le gras. Mais moi, si tu enlèves le gras, il ne reste plus rien! Mes livres, c'est une cathédrale d'affaires pas importantes.»

Grand-Mère

François Blais s'amuse lorsqu'on lui raconte qu'il rejoint un certain courant de réappropriation du territoire avec ses histoires se déroulant à Grand-Mère et aux alentours. «Tout le monde parle de son coin de pays. Je voulais parler de Grand-Mère comme on parle de Montréal ou de New York. Comme si le lecteur y était né lui aussi dans les années 70 et connaissait chaque rue, chaque commerce.» Grand-Mère pourrait-elle devenir un lieu de pèlerinage? «Ah non, il vaut mieux s'en tenir au Grand-Mère littéraire, sinon on risque d'être déçu!»

Document 1

François Blais

L'instant même, 168 pages