En demandant à 27 humoristes de lui raconter leurs pires humiliations du métier, François Morency a écrit un livre en voie de devenir un best-seller. Ce recueil d'anecdotes n'est pas seulement hilarant, il nous montre aussi une facette sombre de l'humour et nous inspire le respect pour ces fous qui osent monter sur scène pour nous faire rire. Oui, l'humour est un bien drôle de métier...

Après avoir lu Dure soirée, histoires vraies et autres humiliations de François Morency, on ressent vraiment de la compassion pour les humoristes. Et en même temps, on se dit qu'il faut être un peu malade pour faire ce métier. Qu'il soit ou non sain d'esprit, Morency explique très bien que l'humoriste vit l'expérience de la bipolarité chaque fois qu'il monte sur scène, jouant du yo-yo entre le doute et la confiance, la jouissance du rire et l'angoisse du silence. «Il faut être fucké pour faire ce job-là, confirme François Morency. Les jeunes humoristes qui vont lire ce livre vont peut-être vouloir changer de voie. De toute façon, il y a trop de compétition, si on peut en éliminer une couple...»

François Morency a eu l'idée de ce livre en constatant que ses collègues adoraient se raconter leurs pires expériences de scène, voire s'adonnaient souvent à une compétition dans le masochisme. «Il n'y a aucun job sur la Terre où les gens sont fiers de leurs échecs. Je ne pense pas que les médecins se vantent de leurs flops!»

Près d'une trentaine d'humoristes et de gens du milieu ont accepté de se confier à François Morency qui, plutôt que de faire un collectif, a choisi d'écrire le livre en entier, par défi personnel et par souci d'expliquer les coulisses aux lecteurs. « C'est un livre pour les fans d'humour. Je trouvais ça intéressant qu'ils aient un regard de l'intérieur. Les gens ne voient que le produit final, ils n'ont pas vu toutes les débarques que tu as pu avoir avant.»

Dure soirée est donc une visite du côté sombre de l'humour, voire par moments un livre d'horreurs, qui va de ratage rigolo en dérapage terrible. On y découvre que les humoristes débutants ont avantage à se trouver un agent qui ne les mènera pas à l'abattoir. Que pour gagner sa croûte, il faut souvent se taper des shows d'entreprise, des foires agricoles ou des tournois de golf surréalistes, dans les conditions les plus atroces. Que l'alcool et l'humour font rarement bon ménage (sur scène ou dans la salle). Qu'il existe des choses comme les FBI (Fausses Bonnes Idées) et qu'il y a parfois d'étranges squelettes dans «les catacombes de la relation humoriste-public»...

C'est peut-être ce qui étonne le plus à la lecture du livre. Ce rapport étrange avec le public, quand on sait à quel point les humoristes ont la cote au Québec. Par exemple, Louis-José Houde, inquiet pendant des années après avoir été pris à partie par un ex-détenu, Martin Petit carrément agressé sur scène dans un show d'entreprise, le sens de la répartie qu'il faut avoir lorsqu'un spectateur décide d'agrémenter le spectacle de ses commentaires... François Morency lui-même raconte une expérience délicate avec un homme qui lui laissait des messages de menace sur son répondeur.

«Dominique Michel disait que les gens admirent les chanteurs, respectent les acteurs, mais qu'ils aiment les comiques, explique-t-il. Ils te donnent une tape dans le dos, ils t'appellent par ton prénom, il n'y a pas cette espèce de distance, et cette familiarité fait notre succès, mais la contrepartie est que cette familiarité fait en sorte que ça donne à certains l'impression que ça fait partie du show de te garrocher des affaires». La porte qui fait qu'on t'aime est la même que lorsqu'on te déteste, et c'est instantané.»

Surtout, et François Morency l'explique bien, l'humoriste est seul sur scène. Totalement seul. Il n'a pas de musiciens et pas d'effets spéciaux pour venir à sa rescousse. Le comique est nu.

«Ce qui est spécial dans ce métier, c'est que tu es évalué sur les mêmes critères que lorsque tu as commencé. Si j'arrive dans une soirée d'humour sans être annoncé, j'ai cinq minutes de grâce, je les joue sur ma notoriété, mais à partir de la sixième minute, je suis jugé sur les mêmes bases que le jeune qui vient de commencer. Tu ne peux pas t'appuyer sur tes succès passés. C'est bon ou ce n'est pas bon, on rit ou on ne rit pas. C'est la justice ultime.»

Est-ce qu'il y aura un tome 2 de Dure soirée, puisque la réception est très bonne et que le livre est déjà au top des palmarès? Ce n'était pas prévu dans les plans de François Morency - «mais mon éditeur aimerait ben ça!». Ce qui est certain, c'est qu'il porte en lui un nouveau spectacle, et qu'il remontera sur scène en solo, absolument pas guéri par cette expérience d'écriture. «Quand tu fais un numéro pour la première fois et que ça marche, c'est tellement grisant... Tu ne peux pas savoir à quel point. C'est là que tu te rappelles que c'est pour cette joie que tu fais ce métier-là. C'est comme une drogue.»

Dure soirée, histoires vraies et autres humiliations

François Morency

Éditions de l'Homme, 249 pages