À la fin des années 70, malgré la force du mouvement féministe en Occident, il n'existait aucun livre de référence sur l'histoire des Québécoises. Deux femmes, Marie Lavigne et Jennifer Stoddart, décident qu'il est grand temps qu'un tel ouvrage voie le jour. Avec les historiennes Michèle Jean et Micheline Dumont, elles forment le Collectif Clio et s'attellent à la tâche. Elles publient L'histoire des femmes au Québec en 1982. «L'histoire des femmes était enseignée, mais elle ne figurait dans aucune synthèse, se rappelle l'historienne Micheline Dumont, qui l'enseignait déjà en 1976 à l'Université de Sherbrooke. Notre objectif était de faire entrer les femmes dans le courant majoritaire de l'histoire.»

Aujourd'hui, enseigner l'histoire des femmes n'a rien de révolutionnaire, mais à l'époque, il y avait quelque chose de radical à vouloir raconter l'histoire du quotidien, de l'accouchement, de la santé et de la lutte des femmes pour prendre leur place dans la société. «Jusque-là, on racontait l'histoire des guerres, l'histoire politique des hommes, explique Micheline Dumont. Mais les femmes aussi avaient une histoire liée à la maternité, à la famille, à la santé. Les femmes n'étaient pas que spectatrices, elles étaient également actrices de l'histoire. Leur rôle dans la société avait progressé en 150 ans et personne n'en parlait. Les historiens disaient que c'était la tâche des historiennes, ils ne voulaient pas toucher à ça. On ne parlait même pas du féminisme, c'est dire!»

L'ouvrage du Collectif Clio a changé tout ça. Non seulement il a enrichi la bibliographie des chercheurs et des historiens, mais il a connu un véritable succès populaire: 35000 exemplaires vendus et une réédition en 1992. Pour un livre d'histoire, c'est plutôt rare.

«C'est un ouvrage important pour plusieurs raisons, observe Karine Hébert, professeure d'histoire à l'Université de Rimouski. D'abord, c'était tout un pari de se lancer dans un bilan alors qu'il existait très peu de monographies sur l'histoire des femmes. Ensuite, ce livre s'est distingué par son ton: d'emblée, les auteures ont affiché leurs couleurs et leur volonté de s'inscrire dans une démarche féministe.»

Ce parti pris n'a pas plu à tout le monde. C'est le cas de Jean-Jacques Simard, du Département de sociologie de l'Université Laval. «Quiconque sera capable d'endurer le petit doigt censeur et inquisiteur que secouent sans répit les auteurs sur l'histoire des femmes, de siècle en siècle, possédera une tolérance à l'anachronisme et à l'ethnocentrisme beaucoup plus grande que la mienne», a-t-il écrit à l'époque dans la revue d'histoire de l'Amérique française.

Plus nécessaire que jamais

L'histoire des femmes aura-t-elle été une mode? «Pas du tout, répond Micheline Dumont. Il y a eu un creux dans les années 90, mais aujourd'hui on constate une vitalité chez les jeunes historiennes qui travaillent davantage dans une perspective d'histoire des genres. Dans les universités, les cours d'histoire des femmes sont pleins et la recherche a pris un tournant politique plus que social. On revient à un certain radicalisme propre aux années 70.»

La lutte n'est pas gagnée pour autant. Dans les écoles secondaires du Québec, on passe vite sur l'histoire des femmes. «Les jeunes voient des fragments dans leur cours d'histoire et l'oublient comme ils oublient la trigonométrie et l'algèbre. Il faudrait un rappel au niveau collégial et universitaire», affirme l'historienne, qui a publié Le féminisme québécois expliqué à Camille, en 2008.

À quand une seconde réédition du Collectif Clio?

La journaliste Françoise Guénette animera une table ronde en compagnie des quatre membres du Collectif Clio demain de 10h à 13h30, à l'auditorium du Centre d'archives de Montréal, édifice Gilles-Hocquart, 535, avenue Viger Est. Pour réservation: Elodie.Lessard-Faber@mcccf.gouv.qc.ca