Il est allé à l'université avec Raúl et Fidel Castro, a dirigé le théâtre national de Cuba avant devenir persona non grata en 1968, a écrit en français des dizaines de pièces de théâtre et de romans. Et il est peut-être même le petit-fils du peintre Édouard Manet, nous apprend-il dans son plus récent roman! À plus de 80 ans, Eduardo Manet a l'oeil brillant, l'intelligence vive, la forme resplendissante, et est un des invités de marque du festival littéraire Metropolis bleu.

«Je suis peut-être sorti de Cuba, mais Cuba n'est jamais sorti de moi.» En entrevue, l'auteur de L'île du lézard vert, Mes années Cuba et Rhapsodie cubaine est une mine d'anecdotes et parle volontiers de son pays natal. Pour lui, littérature et politique sont de toute façon indissociables. «Je me suis toujours servi de ce que j'ai vécu pour mes livres. La réalité fait de la bonne fiction.»

C'est ainsi qu'il a écrit de grands livres sur le Cuba d'avant la révolution et sur son exil, dans une oeuvre qui distille un parfum de mélancolie et une nostalgie du pays perdu, mais aussi des fictions comme La maîtresse du commandant Castro. Pour ce roman publié en 2009, il s'est inspiré des confidences d'une femme rencontrée à Madrid pour décrire la relation entre Fidel Castro et une jeune femme. «On a tous cette image du grand Fidel, très droit, raconte Eduardo Manet. Mais c'était un homme à femmes!»

Dans Le fifre, publié l'an dernier, il raconte la passion (authentique) d'une jeune peintre franco-espagnole, Eva Gonzalès, pour le père de la peinture moderne, Édouard Manet. Une relation dont le père d'Eduardo Manet aurait été le résultat illégitime et caché, histoire de ne pas nuire à la concentration du Maître. «Personne ne me croit en France! Pourtant, j'ai suivi cette trace qui est très plausible, sur laquelle mon père m'a lancé peu de temps avant de mourir.»

Long exil

Eduardo Manet était en voyage à Paris lorsqu'il a dénoncé l'entrée des chars russes à Prague en 1968, et n'a jamais remis les pieds à Cuba depuis. «La révolution a fait des choses formidables, mais quand j'ai vu que Cuba appuyait l'URSS, je ne pouvais pas me la fermer. Pourtant je vivais bien à Cuba, j'étais directeur de théâtre, j'avais une voiture, cinq maîtresses...»

L'exil ne l'a jamais empêché de suivre de près l'actualité politique. Il constate aujourd'hui que le régime castriste donne un peu d'air à ses opposants, mais ne prédit pas de printemps cubain pour autant. «On reproche à Raúl Castro de ne pas être charismatique. Mais depuis quand faut-il être charismatique pour être un homme fort? Ce pays est encore très dur.» Peut-être, mais un premier mariage gai a quand même été célébré l'été dernier. «Tout ça dans un pays qui avait créé le goulag pour les homosexuels. Ça veut dire quelque chose.»

La vie est aussi un peu plus facile pour les intellectuels qui ne sont plus jetés systématiquement en prison, ajoute-t-il, à cause probablement du penchant pro-artistes de Raúl Castro. «Il écrivait des poèmes», se souvient-il en parlant de ses années d'université.

Eduardo Manet croit cependant que ce sont les jeunes qui finiront par construire des ponts. «Ils ne font plus de politique, d'aucun côté. Ça ne les intéresse pas, et il y a de plus en plus de liens entre les États-Unis et Cuba. Par la force des choses, les jeunes feront tomber le mur de Berlin.»

Lui-même s'est adouci et ne propage plus le discours anti-castriste primaire. «Je ne parle plus contre personne!», rigole-t-il, donnant son amitié tant à Zoé Valdès -»l'ennemi public numéro un!» - qu'au sulfureux auteur de La trilogie sale de La Havane, Pedro Juan Gutiérrez. Sa pièce la plus célèbre, Les nonnes, a été récemment publiée en espagnol à Cuba. «L'embargo, ça ne sert qu'à embêter le peuple. C'est notre rôle comme écrivain de lui donner une voix.»

À plus de 80 ans, Eduardo Manet continue de transmettre sa mémoire du siècle partout où il est invité. Il multiplie les projets en théâtre et même en cinéma, remplit depuis quatre ans ses tâches de président du Conseil permanent des écrivains de France et ne connaît manifestement pas le mot retraite. Gagnant à la loterie génétique, il se dit «bâti pour vivre jusqu'à 100 ans». Le secret de sa forme réside aussi dans les exercices de souplesse appris lors de ses cours de mime avec Jacques Lecoq, pendant les années 50 à Paris, qu'il pratique encore plusieurs fois par jour.

«La retraite, pour les gens qui travaillent à l'usine toute leur vie, c'est nécessaire. Mais quand on travaille avec son imagination, et qu'on est amoureux de ce qu'on fait, il n'y a pas de raison de s'arrêter.»

Eduardo Manet donnera une conférence animée par Jean Fugère samedi à 17h30 à la librairie Las Americas.