L'été dernier, Barack Obama est parti en vacances avec La 6e extinction sous le bras - un essai scientifique sur la destruction de l'environnement. Chez nous, des titres comme Physique quantique en 30 secondes atteignent le statut de best-seller. Et Boréal prévoit lancer un nombre record d'ouvrages de vulgarisation scientifique cette année. La science semble quitter de plus en plus les laboratoires pour gagner les librairies. Dissection d'un phénomène.

«Ce n'est pas Harry Potter, il n'y a pas d'émeutes dans les magasins. Mais il y a un intérêt marqué. Et je sens une certaine recrudescence, même si elle est difficile à quantifier.»

Patrick Neault est acheteur chez Renaud-Bray. De plus en plus, il voit passer des livres qui traitent de physique, d'écologie, d'astronomie, de santé. Lorsque ces livres suscitent son intérêt, il les place dans les rayons des libraires. Et bien souvent, ils trouvent preneur.

«Il y a une offre de livres de vulgarisation bien faits, bien illustrés, qu'il n'y avait pas nécessairement avant», observe-t-il.

L'an dernier, le 100e anniversaire de la théorie de la relativité générale, du célèbre Albert Einstein, a stimulé l'appétit des lecteurs pour la science, observe M. Neault.

«Quand il y a des nouvelles sur quelque chose comme les ondes gravitationnelles, il y a une curiosité qu'on sent tout de suite en magasin.»

Difficile à mesurer

Le regain d'intérêt pour la vulgarisation scientifique, s'il existe bel et bien, est difficile à mesurer. Gaspard, un système d'information sur les ventes de livres, ne permet pas de le dire. C'est que les ouvrages de ce type se retrouvent éparpillés entre plusieurs catégories, de la psychologie à la médecine en passant par les sciences humaines ou les essais. La catégorie consacrée aux sciences, quant à elle, compte bon nombre de livres scolaires, et il est difficile de les distinguer de ceux s'adressant au grand public.

Mais aux Éditions du Boréal, une maison d'édition généraliste, on sent que quelque chose est en train de se passer.

«On reçoit un certain nombre de manuscrits intéressants provenant de scientifiques qui veulent publier chez nous. C'est relativement nouveau comme phénomène», dit Pascal Assathiany, directeur général de la maison.

Boréal vient de publier coup sur coup deux livres de vulgarisation scientifique. Le premier traite du diabète de type 2. Le deuxième s'intitule L'impossible dialogue - Sciences et religions, de l'historien et sociologue des sciences Yves Gingras. Un livre sur les cellules souches, rédigé par le chercheur Denis Claude Roy, sera aussi publié à l'automne.

«Brusquement, on s'aperçoit qu'alors qu'on n'en publie presque jamais, on va en publier trois ou quatre cette année. C'est inhabituel», dit M. Assathiany.

Des sujets en vogue

Chez Hachette, on ne sent pas nécessairement de lame de fond pour la vulgarisation scientifique.

«Ça fonctionne par vagues, dit Fabienne Corriveau. Depuis six mois ou un an, c'est le microbiote - les bactéries dans l'intestin et le fait qu'elles forment un deuxième cerveau. On a publié trois ou quatre livres juste sur ce sujet.»

Son de cloche similaire aux Éditions MultiMondes, une maison spécialisée exclusivement dans les sciences depuis 25 ans. Les deux tiers des ouvrages qui y sont publiés sont des livres «pointus», qui s'adressent surtout aux scientifiques. L'autre tiers est formé de livres de vulgarisation destinés au grand public.

«De façon générale, on ne peut pas parler de phénomène. Mais l'environnement, l'écologie, le réchauffement climatique, ça vend bien. C'est un domaine qu'on veut développer, tant par les auteurs québécois qu'en faisant des achats de droits au Canada anglais», explique Dominique Lemay, directrice générale aux Éditions MultiMondes.

L'an dernier, MultiMondes a publié Petit guide des dinosaures, écrit et illustré par un garçon de 8 ans, Elliott Seah. Le livre a été tiré à 4000 exemplaires- un succès pour le marché québécois, où on parle de best-seller à partir de 3000 exemplaires.

DIALOGUE

Chez Hurtubise, on s'enthousiasme devant la popularité des collections «30 secondes» et «3 minutes», qui décortiquent des théories scientifiques à coups d'explications simples et d'illustrations. L'entreprise québécoise Media Ranch vient d'ailleurs d'en acquérir les droits pour la télévision.

«Certains se vendent à 1200 exemplaires, d'autres à 6000. Mais si on additionne tous les titres de la collection, bon an, mal an, on parle de 20 000 exemplaires vendus. Les titres Physique quantique en 30 secondes et Einstein en 3 minutes sont si populaires qu'au printemps, on fera paraître Physique classique en 30 secondes et Newton en 30 secondes», dit Marianne Villeneuve, attachée de presse.

Aux États-Unis, le New York Times Book Review a créé en 2014 un palmarès mensuel entièrement consacré à la science. Dans la plus récente édition, un livre expliquant le fonctionnement des objets de tous les jours côtoie une biographie de l'explorateur et scientifique allemand Alexander von Humboldt et un ouvrage qui suggère que les dinosaures auraient pu être exterminés par la matière noire de l'univers.

«On a longtemps décrit les scientifiques comme étant dans leur tour d'ivoire, remarque Pascal Assathiany, de Boréal. Peut-être que la peur qu'ils avaient d'être mal perçus par leurs pairs en simplifiant pour le grand public est en train de s'estomper? Je perçois ça comme un désir de leur part d'établir un dialogue avec les gens ordinaires.»

Cinq livres populaires

De quel genre de vulgarisation scientifique les lecteurs québécois sont-ils friands? Voici le top 5 des ventes de Renaud-Bray depuis quatre ans dans ce créneau.

Physique quantique en 30 secondes, Brian Clegg, Éditions Hurtubise

Les livres de cette collection, qui visent à expliquer des théories scientifiques en «30 secondes» ou «3 minutes», se vendent comme de petits pains chauds. Nous avons lu celui consacré à la mécanique quantique, une théorie particulièrement rébarbative. D'abord, malgré ce que le titre peut laisser croire, vous ne maîtriserez évidemment pas un tel sujet en 30 secondes. Le livre propose plutôt 50 concepts qui, ensemble, permettront d'assimiler la théorie. Chacun des concepts est expliqué en 300 mots, avec une image et un «condensé en 3 secondes» résumant l'essentiel. Oubliez les récits et les artifices: nous sommes ici dans la vulgarisation concise, solide et bien faite. Un bémol: les images sont souvent des illustrations abstraites des concepts. Dans plusieurs cas, des diagrammes accompagnés d'explications auraient sans doute mieux servi l'objectif.

Une histoire de tout, ou presque..., Bill Bryson, Payot

Le projet est ambitieux: raconter l'histoire des sciences, du Big Bang jusqu'à la primatologie, en un seul bouquin. Le pari est remporté haut la main par l'auteur américain Bill Bryson. On ne s'ennuie pas une seconde au fil des quelque 600 pages bien tassées qui forment la version de poche de ce classique, publié pour la première fois en 2003. Bryson s'adresse au lecteur comme à un ami, sur un ton badin et rempli d'humour. Truffé d'analogies surprenantes et d'anecdotes croustillantes, le livre met en scène des scientifiques qui, sous la plume de l'auteur, deviennent de véritables personnages. Untel est un «irritant bouffon», l'autre, un «personnage fantasque». «La moindre ligne de sa main était une invitation au sommeil», dit-il d'un autre. Au bout du compte, vous aurez rigolé tout en apprenant plein de choses.

Zéro déchet, Béa Johnson, Éditions Transcontinental

Vous l'avez peut-être vue à Tout le monde en parle, en 2014. Béa Johnson est cette Française exilée aux États-Unis qui a réussi à limiter la production de déchets de toute sa famille à 1 kg par année. Consommer moins, acheter en vrac, fabriquer ses propres cosmétiques et produits ménagers: elle donne ici des trucs très concrets pour jeter moins. L'auteure évite le piège d'être moralisatrice. Et si vous trouvez qu'elle va parfois loin (comme faire pousser ses propres tampons à récurer à base de luffa), elle est la première à en convenir et rit de ses initiatives ratées (mascara maison qui coule, savon à base de bacon qui ne mousse pas). L'ouvrage nous invite à réfléchir à notre mode de vie plutôt que d'atteindre des objectifs irréalistes.

Guide d'un astronaute pour la vie sur Terre, Chris Hadfield, Libre Expression

On connaît ses chansons de David Bowie interprétées dans l'espace, ses photos spectaculaires et son talent de communicateur. Mais derrière la magie qu'a transmise l'astronaute Chris Hadfield lors de sa dernière mission spatiale se cache un parcours incroyablement ardu. Dès l'âge de 9 ans, en voyant Neil Armstrong poser le pied sur la Lune, le jeune Hadfield oriente toute sa vie vers la possibilité, alors extrêmement mince, de devenir astronaute. Travail d'équipe, importance de conserver la bonne attitude, capacité d'anticiper: dans ce livre, le plus célèbre des astronautes canadiens puise dans son parcours peu banal pour tirer des «leçons» qui s'appliquent à la vie sur Terre. Mais le meilleur se trouve peut-être dans les anecdotes et les récits d'un métier, celui d'explorateur de l'espace, qui conserve son formidable pouvoir de faire rêver.

Là où croît le péril... croît aussi ce qui sauve, Hubert Reeves, Seuil

Le pionnier de la vulgarisation scientifique nous raconte ici deux récits. Dans la «belle histoire», il décortique les lois cosmiques afin de montrer à quel point l'apparition de la vie sur Terre est un miracle. La «moins belle» documente ensuite la destruction systématique de l'environnement par l'être humain. Une nouvelle «éthique de la Terre» a émergé du mouvement écologiste. Parviendra-t-elle à sauver le monde? La question reste ouverte. Dans le langage simple qui a fait sa marque, Hubert Reeves poursuit son inlassable mise en perspective afin de nous faire comprendre notre place dans l'Univers. Évidemment, les thèmes sont maintenant connus et personne ne tombera en bas de sa chaise en suivant le fil des deux histoires. Mais l'auteur réussit à nouveau à nous faire comprendre leur importance et à susciter la réflexion.

Zéro déchet

Normand Mousseau: La science pour éclairer les débats publics

Mai 2013. Normand Mousseau apprend qu'il est atteint de diabète de type 2, une maladie considérée comme chronique. Ébranlé, le physicien refuse de s'en tenir aux recommandations des médecins. Il découvre une voie de guérison proposée par un scientifique britannique, la teste sur lui-même... et guérit. C'est l'histoire qu'il raconte dans Comment se débarrasser du diabète de type 2 sans chirurgie ni médicament, qui vient de paraître aux Éditions du Boréal. Rencontre avec un auteur qui veut utiliser la science pour éclairer les débats publics.

Pourquoi avoir décidé d'écrire un livre sur votre guérison?

Mon diagnostic de diabète m'a donné une peur bleue. Les effets de cette maladie sont très importants. Elle diminue l'espérance de vie, mais aussi l'espérance de qualité de vie. Je me suis dit: si ça marche pour moi, il faut que je le dise! Ce n'est pas tout le monde qui veut perdre 50 ou 60 lb et suivre le régime que j'ai suivi. Mais si une seule personne l'essaie et que ça change sa vie, c'est déjà une grande réussite.

Vous avez décidé de suivre une diète dite «chirurgicale», proposée par le scientifique britannique Roy Taylor. Pourquoi?

Il y a tellement de trucs faux et bidon qui circulent. Quand j'ai vu le truc de Taylor, je me suis dit: il faut que je vérifie tout ce qu'il dit. J'ai remonté à la source et analysé les études. J'ai vu que c'était du solide et j'ai décidé de l'essayer.

En quoi consiste cette diète?

Il suffit de manger un maximum de 700 kilocalories par jour, en s'assurant de boire au moins 2 L d'eau et d'inclure 200 g de légumes. Taylor a montré que cette diète force l'organisme à brûler la graisse contenue dans le foie et le pancréas. Or, quand le gras disparaît du pancréas, les cellules bêta reprennent leur fonction, qui est de produire de l'insuline.

J'ai suivi le régime pendant 10 jours, à 3 reprises. Évidemment, ces régimes très intenses n'aident pas du tout à changer les habitudes. Si on fait seulement ça, on va reprendre notre poids. Voilà pourquoi il faut aussi se mettre à l'exercice et surveiller son alimentation en tout temps.

Vous vous considérez aujourd'hui comme guéri?

Formellement, je suis guéri. Le diabète est une maladie définie par des symptômes, et je n'ai plus les symptômes. Est-ce que, au fil du temps, le gras va s'accumuler à nouveau dans mon pancréas? Je ne le sais pas. Mais si c'est le cas, tout ce que j'ai à faire, c'est le faire sortir avec le régime. Je l'ai déjà fait et je sais que ça marche.

Votre livre est une critique de l'approche prônée par l'Association canadienne du diabète et les autorités de santé publique, qui présentent toujours le diabète comme une maladie chronique dont on ne peut pas guérir.

La lutte contre le diabète est un échec total. Étude après étude, on montre qu'elle ne fonctionne pas. Le message actuel est de dire: "Essaie de contrôler ta maladie même si on sait que tu t'en vas dans le mur." On en demande de moins en moins aux gens qui, malgré ça, n'arrivent pas à suivre les recommandations. Si on disait aux patients qu'il est possible de guérir, je crois qu'on pourrait convaincre au moins un sous-ensemble des diabétiques de faire les changements nécessaires.

Aviez-vous des réticences, en tant que physicien, à écrire sur la santé?

Ce n'est pas compliqué, la santé! Les physiciens, nous sommes un peu prétentieux et pensons pouvoir tout comprendre. Mais c'est vrai! Je suis formé aux mathématiques et à l'analyse statistique. Je suis capable d'évaluer la littérature scientifique et de savoir si une étude est significative ou non. Je n'ai aucun doute sur ce que j'écris.

Vous avez aussi écrit des livres sur les gaz de schiste, l'énergie et les ressources minières, des sujets qui ne sont pas non plus votre spécialité.

Je trouve ça plus facile de parler des autres domaines que du mien, parce que j'ai du recul. Mon premier livre, j'ai essayé de l'écrire sur les matériaux, qui est mon domaine de recherche. Après 100 pages, c'était absolument illisible.

Qu'est-ce qui vous motive à écrire?

Je pense qu'en tant que scientifiques, nous pouvons contribuer aux débats publics. Mon approche n'est pas de dire: voici la réponse. Je veux mettre les faits sur la table. Quand j'ai écrit mon livre sur les gaz de schiste, tout le monde prenait position en parlant à travers son chapeau. Je trouvais important de mettre les données sur la table. Ensuite, les choix pourront se faire sur les valeurs. Mais au moins, on va s'entendre sur les faits. L'avantage est que je n'ai pas de biais idéologique. Je ne suis ni économiste ni militant. Je pense que ça me permet d'analyser les choses avec recul et froideur.

Trouvez-vous que les scientifiques s'impliquent assez dans les débats publics?

Je les trouve tellement craintifs! J'ai une émission de vulgarisation scientifique à la radio [NDLR: La Grande Équation, à Radio VM]. Il m'arrive d'inviter des chercheurs qui me répondent: "Je ne peux pas parler de ce sujet, je ne suis pas un spécialiste, j'ai seulement publié deux ou trois articles là-dessus." Je pense qu'il ne faut pas s'arrêter à la frontière de sa discipline - même si ça comporte des risques. Moi, j'ai décidé de le faire. Et je m'amuse beaucoup!

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Comment se débarrasser du diabète de type 2 sans chirurgie ni médicament. Normand Mousseau. Boréal, 280 pages.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE