Plus encore qu'en littérature générale, la disproportion entre éditeurs français et québécois est spectaculaire lorsqu'on parle de bande dessinée. D'un côté, des géants qui jonglent avec des chiffres d'affaires de dizaines de millions de dollars; de l'autre, quelques Lilliputiens isolés sur leurs arpents de neige. Circonstance aggravante: faute de tradition dans ce domaine, le public québécois est assez peu acheteur de bédé. «Sauf exception, le marché québécois ne représente guère plus de 1 % de notre chiffre d'affaires», explique un professionnel de la maison Casterman.

Ironie suprême: l'un des rares succès de vente au Québec est, chez Casterman, Magasin général, la série signée Loisel et Tripp, qui en est à son quatrième épisode: «On en est à 120 000 exemplaires vendus rien que du premier, disent les auteurs, deux Français installés à Montréal depuis plusieurs années. Mais près de 10 % des ventes sont au Québec.» En somme, l'un des plus grands succès de la bédé française au Québec a pour sujet... le Québec des années 20. Et la seule bédé à succès en France concernant le Québec est signée par deux Français... Il y a donc du chemin à faire en France pour les bédéistes québécois.

 

Des oiseaux rares

Dans le désert et la nuit brillent ici et là des lumières. Seule de son espèce, la maison d'édition La Pastèque a un stand à Angoulême depuis plus de 10 ans. Il s'agit d'une entreprise artisanale - 16 titres l'année dernière, un chiffre d'affaires de 700 000 $ -, mais son patron, Frédéric Gauthier, a parfois des surprises agréables. Par exemple de trouver, jeudi dernier, sur un bon tiers de page de Libération, une critique plus qu'élogieuse de sa dernière trouvaille: Macanudo, la bédé de l'Argentin Liners, une célébrité dans son pays. Avoir une critique dans les «grands journaux» en France est déjà un exploit rarissime.

Cet événement donne quelques espoirs. Dans l'intervalle, les albums de La Pastèque trouvent une place modeste mais réelle dans le réseau des éditeurs «indépendants». Ce qui limite les ventes - de la série à succès des «Paul», par exemple - à quelque 1500 ou 2000 exemplaires. «Il y a un blocage en France concernant la bédé du Québec, estime M. Gauthier. Même lorsque le grand chef Alain Ducasse a fait l'éloge de notre album L'Appareil, les acheteurs français n'en ont pas voulu.»

Dans ce paysage de toundra, d'autres exceptions, presque des curiosités. La série (pour filles) des Nombrils, signée Delaf et Maryse Dubuc, a d'abord fait un galop d'essai dans le journal Spirou avant de devenir un énorme succès de librairie: quelque 300 000 exemplaires vendus pour les trois premiers albums. «C'est drôle et brillant, dit-on aux éditions Dupuis. Mais bien sûr, il n'y a aucune connotation québécoise: c'est moderne et universel.»