Il lui trouve un trait aérien, «près de Chagall». Elle se dit inspirée par sa plume «originale et intelligente». Il a surtout écrit des romans. Elle a principalement illustré des albums pour enfant. L'auteur Hervé Bouchard et l'illustratrice Janice Nadeau ont uni leurs talents pour concevoir une bande dessinée lumineuse et touchante: Harvey.

Harvey est un garçon comme il en court des centaines dans les rues du Québec. À un détail près: un jour, il est devenu invisible. C'était pendant le printemps, juste après la mort de son père Bouillon.

 

Hervé Bouchard a choisi, pour sa première incursion dans le monde de la bédé, l'histoire de ce petit garçon à l'imagination fertile, mais empreint aussi d'une grande lucidité. Un enfant dont la vie bascule le jour de la mort de son père.

Lorsque Janice Nadeau a lu le texte, elle a tout de suite eu envie de s'asseoir à sa table à dessin. «Je ne connaissais pas Hervé, mais j'ai tout de suite été interpellée, dit-elle. D'abord parce que son écriture laisse beaucoup de place à l'imagination, beaucoup de place aux images. Ensuite parce que l'histoire se passe dans un village du Québec et que j'ai choisi de le situer il y a une quarantaine d'années.»

L'auteur n'avait pas choisi d'époque précise, ni même de lieu. «L'histoire aurait pu se passer aujourd'hui, ou il y a 50 ans, dit-il. Tout ce qu'il fallait, c'est beaucoup d'enfants dans le quartier. Quand j'étais jeune, il y avait des flots partout...»

Dans la vie d'Harvey, les amis s'appellent Chiquette, ou Poulourde. Ou Cantin, comme son frère. Pour leur donner vie, Janice Nadeau a décidé d'explorer de nouveaux médiums. «J'ai essayé d'oublier tout ce que j'avais fait auparavant. Pour mon premier livre, l'aquarelle s'était imposée, mais ça ne convenait pas pour aborder la mort.»

Elle se tourne plutôt vers le fusain, le pastel secs, les pochoirs. Les silhouettes en transparence évoquent l'absence. Les pochoirs lui permettent de soustraire du fond ce père disparu, mais dont le vide continue d'habiter l'espace. Sur le grain du papier, le pastel laisse des traces tantôt floues, tantôt traînantes. Le texte, écrit au plomb en lettres carrées, rappelle le cahier de l'écolier...

«J'avais envie de faire quelque chose d'imparfait, car Hervé montre bien le côté imprévisible et imparfait de l'enfance. J'avais envie qu'on ressente les petites et grandes douleurs de l'enfance. Je ne voulais pas non plus trop en montrer, surtout en ce qui concerne la mort. Tout est raconté avec tellement de retenue.»

Janice Nadeau a planché pendant trois ans sur ce projet, à décortiquer en images un texte qui n'avait pas été scénarisé ni découpé à la manière d'une BD formelle. Hervé Bouchard habitant Jonquière, la Montréalaise ne l'a rencontré que trois fois en trois ans. Entre l'auteur, l'illustratrice et les éditeurs de La Pastèque, la confiance était totale.

Et la satisfaction finale, réciproque: «Janice a un trait plein de délicatesse, aérien. Près de Chagall. Tandis que moi, mon écriture est brutale. La rencontre entre nos deux univers est trippante», explique l'auteur.

Fragile identité

Après Paul à Québec, de Michel Rabagliati, Harvey est le deuxième ouvrage consacré à la mort du père à sortir des presses de La Pastèque. Mais là s'arrête la ressemblance. Harvey n'est pas un album autobiographique, jure Hervé Bouchard, malgré la parenté évident des prénoms du créateur et de sa créature.

Les préoccupations du petit Harvey ressemblent toutefois drôlement à celle du grand Hervé. «Toute ma vie, je vais devoir épeler mon prénom, dit-il. Personne ne sait si ça s'écrit avec un «é» ou avec ou «ey». Mon personnage ne pouvait pas s'appeler autrement qu'Harvey. C'est à la fois un prénom et un nom de famille; ça peut être franco ou anglo. La moindre faute de frappe peut changer son identité, peut le faire disparaître. Quand mon fils est venu au monde, le fonctionnaire avait oublié de remplir les papiers... Il est passé à un cheveu de ne pas avoir d'identité officielle, de ne pas exister vraiment. Il aurait été parfait pour devenir un espion.»

Le petit Harvey, lui, est obsédé par Scott Carré, un personnage sorti d'un film des années 50 - The Incredible Shrinking Man- qui rapetisse au point de disparaître tout à fait... «J'ai vu ce film en version française quand j'étais jeune et j'ai pris soin de ne jamais le revoir, dit Hervé Bouchard. Il m'a fasciné. Le personnage s'appelait Scott Carrey, mais le narrateur, très français, disait Scott Ca-ré. J'en ai un souvenir très précis. J'ai des souvenirs extrêmement clairs de choses qui préoccupent peu les gens en général!»

Mais qui ne traîne pas son lot de petits souvenirs inutiles qui donne à l'enfance cette impression de vérité?

 

HARVEY

HERVÉ BOUCHARD ET JANICE NADEAU

LA PASTÈQUE

***1/2

Il fallait du flair (et un brin de génie) pour réunir le temps d'un ouvrage deux signatures aussi fortes que celles de Janice Nadeau et Hervé Bouchard. Ici, l'enfance n'a plus son enrobage de sucre à la Disney. Bouchard préfère s'attarder sur ses frayeurs, ses douleurs, sans jamais sombrer dans le drame, ni chasser l'émotion à coups de fausses drôleries. Pour enluminer le texte, Nadeau décline ses images sur des teintes de bleu, de jaune et de rouge. Elle enveloppe les mots de Bouchard d'un mélange de réalisme et d'onirisme. Les textures et les motifs dominent cet album format roman, qui fleure bon l'enfance... ou les souvenirs épars qui nous en restent. Un album d'une grande poésie, qui laisse espérer une suite. Puis une autre. Et une autre...