Le bédéiste Michel Rabagliati s'envole lundi pour la France: il est le premier Québécois - et même le premier Canadien - à être invité d'honneur du prestigieux Festival de la bande dessinée d'Angoulême. Là où il a reçu, en 2010, le prix Fauve-Fnac-SNCF, décerné par vote public, pour son émouvant album Paul à Québec. Il est d'ailleurs le premier Québécois à avoir reçu ce prix. Bref, c'est «Michel à Angoulême» !

Lors de notre rencontre, Michel Rabagliati apprenait que son album Paul a un travail d'été - deuxième des six albums déjà publiés dans la série Paul - venait de sortir en version croate, après l'anglaise, l'espagnole, la néerlandaise et l'italienne! «Bien sûr, il y a des gags qui se perdent dans la traduction, et les chansons, particulièrement, ne s'adaptent pas très bien (Il y a toujours de la musique «dessinée» dans les Paul), mais je trouve ça tellement cute que Paul parle le croate.»

Le mot «cute» revient souvent dans la bouche de Rabagliati, et c'est tout, sauf un terme péjoratif; l'ex-graphiste publicitaire devenu «écrivain graphique» aime profondément le charmant, le joli, le gracieux. C'est même ce qu'il parvient à dessiner et à raconter dans les Paul: le charme discret de la classe moyenne, la dignité des gens «ordinaires», l'étrange attrait de lieux qui ne figurent habituellement pas dans les guides touristiques.

Les Québécois, c'est du monde «fin» en général: «Ça me fait plaisir, ça, répond le bédéiste. C'est de nous que je veux parler, de ce que nous sommes, c'est tout. J'éprouve une grande fierté à ce que Paul soit dessiné ici, publié ici, édité ici (aux éditions La Pastèque). Même les albums qui vont en Europe (il a vendu 10 000 exemplaires de Paul à Québec là-bas!) sont imprimés ici», dit-il simplement, sans plastronner ou se péter les bretelles.

Ces temps-ci, Michel Rabagliati travaille à son prochain «roman graphique», Paul au parc, dans un atelier qu'il loue dans Rosemont. «J'ai fait tous mes albums en pyjama, chez moi, dit-il en riant, mais il faut à un moment que je sorte de la maison. Parfois, je loue un atelier avec d'autres (dont Régis Loisel et Jean-Louis Tripp, les auteurs de la série BD Magasin général), cette fois, j'avais envie d'être seul dans Rosemont.» Rosemont où se déroulera Paul au parc: alors que surviennent les événements d'octobre 70, Woodstock... et la télévision en couleur, le jeune Paul découvre le scoutisme de quartier et les fameux camps scouts.

«J'avais envie de parler de l'importance du mentorat, de ces adultes autres que nos parents qui sont importants dans une vie, c'est un hommage à tous ces gens qui prenaient du temps pour nous. On parle toujours beaucoup des adultes qui abusent des plus jeunes, mais on oublie toujours les 95 % d'adultes qui nous ont aidés, aimés, appris des choses.»

Au passage, on reconnaîtra même le théâtre de la Roulotte, qui arpentait (et arpente toujours) les parcs de Montréal l'été, ainsi que Paul Buissonneau et les «jeunes comédiens» Yvan Ponton, Robert Gravel. Et Paul se fera sa première blonde...

Il reste encore quatre à cinq mois de travail avant que l'album ne sorte, quatre à cinq mois pendant lesquels le bédéiste-romancier (il est membre de l'Union des écrivains québécois, avec raison) travaillera en écoutant «Marie-Jo Thério, Leonard Cohen, Richard Desjardins, Harry Manx et Espace Musique quand c'est Stanley Péan qui anime.»

L'album comptera quelque 120 pages (on peut en voir les crayonnés sur le site michelrabagliati.com) «parce que, pour moi, un album de moins de 80 pages, c'est pas assez long, il faut que ce soit «viandeux»pour qu'on ait l'impression d'en avoir pour son argent. C'est pas une BD que t'as fini de lire avant même d'être rendu à la caisse!»

L'invitation du festival de bande dessinée d'Angoulême représente donc une petite pause («J'avoue que ça m'a fait un méchant velours, cette invitation!») dans un horaire bien rempli: Rabagliati travaille plutôt sept jours sur sept «parce que j'aime ça.» Tous les jours, d'une façon ou d'une autre, il se penche sur Paul, «dont le visage compte sensiblement le même nombre de traits de crayon que Tintin, mais avec un nez en triangle», précise-t-il en riant.

Dans les mois qui viennent, il travaillera simultanément au film qui doit être tiré de Paul à Québec, qui sera réalisé par François Bouvier (30 vies, Prozac, Les hauts et les bas de Sophie Paquin, mais aussi les très beaux films Histoire d'hiver, Les matins infidèles, Jacques et novembre...). Les productrices en seront notamment Karine Vanasse et Nathalie Brigitte Bustos.

«C'est elles qui m'ont appelé, alors que j'avais déjà contacté François. Je voulais que ça soit live, ce film, pas de l'animation, et je pense que François est parfait pour ça, il a la sensibilité voulue. Ensemble, on veut juste faire le plus beau film possible, quelque chose de vraiment cute...»