Elle a appris à dessiner avec Sailormoon et trouve que Tintin «c'est plate». Zviane, lauréate du premier Concours québécois de bande dessinée en 2006, s'impose depuis comme l'une des figures les plus intrigantes de la bédé d'ici.

Ce qui happe chez Zviane ne saute pas aux yeux. Elle ne se démarque pas d'emblée par son trait ou son approche esthétique. Ce je ne sais quoi qui la distingue tient à plutôt à son ton: sa manière de découper ses planches, la fébrilité qui imprègne ses cases et cette propension à l'autodérision parfois glissée en filigrane, souvent affichée au néon.

Zviane (Sylvie-Anne Ménard) ressemble assez à ses bandes dessinées. Elle parle vite et rit beaucoup. De ce qu'elle vient de dire ou d'elle tout court. Son humour décalé et son énergie juvénile correspondent à celui de la fille qui chasse les fruits exotiques dans son Bestiaire des fruits et au ton général de L'ostie d'chat, drôle d'animal dont elle a la garde partagée avec son amie Iris.

«Je ne suis pas censée faire de la bédé», affirme pourtant la prolifique jeune femme. Zviane possède une formation en composition et analyse musicale - ce qui n'étonnera pas ceux qui ont lu Le point B - et se destinait à l'enseignement de la musique. «Je ne suis pas très sensible aux arts visuels, à la base, avoue-t-elle de surcroît. Je suis vraiment une musicienne. Je suis en train de me décrotter les yeux.»

Ce qui l'a incitée à se lancer dans la bédé, ce sont des oeuvres publiées par la maison d'édition L'association. «J'y trouvais ce qui m'accrochait dans la littérature en général», dit-elle. De la profondeur. Elle est folle de Lewis Trondheim au point de rougir quand elle en parle, a été fascinée par les «masses noires» dans les albums de David B. et avoue un faible pour l'autobiographie manière Pilules bleues (Frederik Peeters) ou Persepolis (Marjane Satrapi).

Ses oeuvres portent aussi de nombreuses traces de l'influence de l'animation et de la bédé japonaises. «J'ai appris à dessiner en recopiant des Sailormoon», explique la bédéiste. Une affiche de ce populaire manga domine d'ailleurs sa table à dessin dans l'atelier qu'elle partage avec plusieurs artistes. Apnée, très beau récit paru l'an dernier, a quant à lui été fortement marqué par la manière épurée et intimiste de Kiriko Nananan (Blue), artiste nippone au propos plus mûr.

Il y a quelques semaines, Zviane a publié chez Pow Pow un recueil à l'humour décalé: Pain de viande avec dissonances. Il renferme cinq histoires «baroques» réalisées entre 2008 et 2010, lors de sprint comme Les 24h de la B.D. de Montréal. Ces courts récits ont en commun d'intégrer des éléments absurdes franchement imaginatifs dans une trame narrative autrement banale.

Celui qui ouvre le recueil donne le ton: deux amies assistent au spectacle très couru de linge qui tourne dans une sécheuse apparemment bourrée avec une sensibilité artistique. Une autre relate l'aventure d'un soir d'une fille avec un gars qui a une tête en forme de gâteau... Pain de viande avec dissonances préfigure un projet mystérieux de plus grande envergure que l'artiste voudrait terminer pour 2013. «Je voulais donner le ton», dit-elle.

«Ce qui me passionne dans la bande dessinée, c'est de trouver la bonne grammaire», analyse Zviane. Elle aime avant tout avoir l'impression qu'elle peut contrôler la manière dont le lecteur va interpréter le passage du temps. «Il y a une question de rythme qui est proche de la musique que je retrouve dans la bédé et pas dans le roman.» Comme quoi on ne peut sortir la musique de la musicienne, seulement mettre des images dessus.

Pain de viande avec dissonances, Zviane. Éd. Pow Pow

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Pain de viande avec dissonances, de Zviane