Paul au parc, plus récent album de Michel Rabagliati, parle entre autres de la transmission des connaissances à travers le mentorat. Étienne Davodeau, auteur prisé de Lulu femme nue, emprunte une voie parallèle dans Les ignorants. «Tu m'apprends le vin et je t'initie à la BD», a proposé le bédéiste à un vigneron de sa connaissance, Richard Leroy. Ce contrat amiable s'est avéré fructueux.

Les ignorants du titre, ce sont ces deux artisans appliqués, respectés chacun dans leur domaine et pour qui faire du vin ou de la bédé est bien plus qu'un métier: c'est une manière d'être au monde en affirmant sa zone de liberté. La découverte de l'autre et de son artisanat se fait au travers des tâches quotidiennes, mais aussi à la faveur de visites chez d'autres vignerons et bédéistes (Gibrat et Mathieu, notamment).

Observateur attentif, visiblement soucieux de raconter la réalité sans la trahir, Davodeau signe ici un fort beau récit sur le partage des connaissances, mais aussi sur l'amitié, la passion et la rencontre. L'art du vin et de la bédé, au bout du compte, ne trouvent-ils pas leur sens dans le contact entre un vin et un goûteur, et un livre un lecteur?

Vie de quartier

Dans Iceberg (Colosse, 2010), Michel Hellman faisait naître des images en faisant des trous dans des feuilles lignées. Une technique inusitée d'une grande portée poétique. Mile-End raconte pour sa part le quartier du même nom à l'aide de dessins parfois rudimentaires, mais surtout avec une distance tantôt amusée, tantôt franchement ironique. Michel Hellman (frère de Thomas, le chanteur) se moque de la faune du quartier - des hipsters et de leur look rétro branché, notamment - et de ce mode de vie bohème auquel son alter ego s'adonne lui-même. Ses chroniques du Mile End sont ponctuées de clins d'oeil comiques et de quelques pages hilarantes sur le «rude» et «impitoyable» hiver québécois. Très sympa. Son Iceberg, lui, est aussi disponible en ligne: (www.electrocomics.com).

Autres parutions à signaler

> 3'' de Marc-Antoine Mathieu (Delcourt)

Le créateur de l'inénarrable Julius Corentin Acquefacques a toujours été fasciné par la mécanique de la bande dessinée. Il poursuit son exploration extrême de la narration avec 3 secondes. Case après case, zoom après zoom, l'oeil plonge dans le détail des images et s'immerge dans un jeu de miroirs tiré par les cheveux, mais proprement fascinant. Ce n'est pas qu'un trip formel: il y a un coup de feu, une explosion, un complot et une énigme à résoudre. Que s'est-il passé au cours de ces trois secondes?

> Onésime - les meilleures pages, d'Albert Chartier (Les 400 coups)

Les rééditions des jalons de la bande dessinée d'ici sont un signe de l'intérêt grandissant qu'elle suscite. Aux éditions Les 400 coups, c'est l'oeuvre du pionnier Albert Chartier qui est traitée aux petits oignons ces temps-ci. Après son adaptation de Séraphin l'an dernier, voici que sont rassemblées ses «meilleures pages». Plus de 260 pages de gags en une planche publiés entre 1940 et 1990. Cinquante ans d'Onésime, antihéros chez qui l'ordinaire ne l'est jamais tout à fait.

Les ignorants, de Étienne Davodeau. Futuropolis

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Mile-End, de Michel Hellman. Pow Pow, 130 pages

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