Albert Einstein, le plus grand physicien du XXe siècle, incarne, encore aujourd'hui, la Science moderne. Dans la seule année 1905, il a défini la lumière, prouvé l'existence de l'atome, démontré la «relativité» du couple espace-temps et établi la plus célèbre équation de la physique (E=mc2), base, entre autres domaines, de toute la science nucléaire.

Ces découvertes, fruits d'allers-retours incessants entre l'infiniment petit et l'infiniment grand, confortaient le savant dans son pressentiment que le monde avait un sens qui pouvait être compris. Par la force de la Raison. Par ailleurs, la démarche scientifique, au même rythme qu'elle faisait reculer la superstition, rapprochait l'être profondément religieux qu'était Einstein de «la foi de la raison». Cette «religion cosmique», comme il l'appelait, trouvait son assise «dans son émerveillement devant l'intelligence supérieure qui se dévoile dans les lois et l'ordre du cosmos». Cette religiosité du cosmos, écrira-t-il, «ne connaît ni dogme ni Dieu à l'image de l'homme et, donc, aucune Église n'enseigne la religion cosmique».

La religiosité «cosmique, naturelle, rationnelle et intérieure» représente «l'ultime degré de la religion», lit-on dans Le Dieu cosmique - À la recherche du Dieu d'Einstein que viennent de lancer au Éditions Le Jour (Quebecor) le «chercheur» Jacques Languirand et le philosophe et théologien Jean Proulx. L'ouvrage se veut le prolongement de la série du même nom, commandée par Radio-Canada et diffusée en 2005-06 dans le cadre de l'émission Par quatre chemins, animée depuis toujours par M. Languirand à la Première Chaîne.

À l'heure où, à l'échelle planétaire, les religions institutionnelles vivent maints tiraillements et où, ici, un certain vide spirituel semble ajouter à la crise identitaire du Québec traditionnel, voici une lecture obligatoire pour quiconque s'intéresse plus vastement à l'Homme et à sa relation moderne avec l'idée de Dieu.

Moderne parce la «foi de la raison» trouve son origine dans l'humanisme spirituel de la Renaissance (XVe et XVIe siècle) qui, avec la Réforme protestante, constitue la base philosophique de la modernité. En même temps que Copernic, Galilée et Gutenberg font avancer la science et la technique, les penseurs humanistes comme Érasme affirment «la dignité de l'être humain». Ses assises: conscience autonome, libre volonté.

Ailleurs, Luther et Calvin rallient ceux qui veulent se libérer de l'autoritarisme de l'Église catholique; là aussi, la raison critique contribue à l'essor de la science, des techniques et du capitalisme. Plus tard, toutefois, les protestants les plus purs viendront fonder «l'Israël américain de Dieu» et leur pratique d'une lecture littérale des Livres empêchera leurs héritiers les plus stricts de vivre dans la modernité.

Parallèlement, la religion naturelle, seule «vraie religion», se développe et des penseurs comme Spinoza (1632-1677) invitent l'homme à «tenter de vivre à la hauteur de son essence». Plus tard, d'autres savants emprunteront le chemin de la «connaissance intuitive» de Dieu. Ainsi, le philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804) - on lui doit la formule Sapere aude: «Ose penser par toi-même, la base philosophique des Lumières»- invitera l'homme à «reconnaître comme commandement divin ce que la raison affirme être un devoir».

Puis viendra Friedrich Hegel (1770-1831) qui récupérera les mythes de la religion historique pour «les intégrer au potentiel spirituel intérieur de chacun». On comprendra ici que le «Dieu d'Einstein» est le Dieu de tous ces savants et philosophes modernes qui aspirent à une Église universelle où le seul culte est de «monter vers l'essence de son propre esprit fini pour y rejoindre l'Esprit cosmique infini».

Une religion «naturelle»... Sans révélation historique, sans dogme précis, sans mythologie, sans rituel, sans Église institutionnelle. Soustraite, donc, aux «dieux sanguinaires».

On ne vous dira pas que le livre de M. Languirand se lit comme un roman mais les fruits sont là, à portée de toute bonne volonté. Par contre, pas besoin d'être un Prix Nobel de physique pour comprendre que répondre à l'«impératif cognitif inné» ne se fait pas dans un après-midi.

LE DIEU COSMIQUE

Jacques Languirand et Jean Proulx Éditions Le Jour, 280 pages, 27,95$