Le sous-titre de cette biographie, Et il me faudra toujours mentir, est en forme de regret, comme une sorte de plainte de celle qui, pourtant, ne dut mentir qu'en peu de circonstances, sa vie ayant été un roman d'amours, au pluriel. Et les mensonges ne sont-ils pas le fond même des passions? Il s'agit d'Alma Mahler, la femme de Gustav Mahler, le premier des compositeurs romantiques par l'orchestration magistrale et sans doute le dernier en date.

Après sa "mort à Venise", le romantisme fut-il fini? C'est à voir non, à entendre... C'est la biographie de la séductrice multiple: Gustav Klimt et Alexander von Zemlinsky, puis Gustav, puis la femme de Walter Gropius (l'architecte et l'urbaniste du Bauhaus), puis la femme encore de Franz Werfel... Je passe sous silence, aux profits et pertes, nombre de célébrités de l'art. Que des artistes, et quels artistes! Alors que, si l'on me permet, son visage est loin de cette perfection qu'ils semblent tous lui avoir trouvée. Quoi! C'est qu'il s'agit de ce que l'on appelait à l'époque une "femme fatale" ou encore une muse, cette chose féminine qui jouait un rôle majeur dans les milieux de Vienne, puis de Berlin, New York, Beverly Hills, et où encore?

Fascinée par les arts, Alma. Fille de peintre, musicienne (elle sacrifia son talent à celui de Gustav), elle disait: "Mon plaisir était décidément de voyager au travers les êtres." Elle a voyagé, beaucoup. Se rendant parfois compte, avec Klimt par exemple, que celui-ci ne pouvait pas l'aimer puisqu'il l'avait trahie.

"S'il m'aime vraiment, pourquoi ne se débarrasse-t-il pas de l'autre?" Jamais vraiment défaite, elle se prendra vite d'une nouvelle passion. Elle se distrait "follement". Elle se nourrit des regards posés sur elle. "Tout ceci est si amusant, j'adore sortir, voir du monde."

Ainsi se font les amantes convaincues sinon convaincantes, et plus tard les veuves inlassables (dit Elias Canetti) ou les grandes veuves (dit Thomas Mann).

Elle a vécu 85 ans (morte en 1964), une vie trépidante qui est la vie de cette époque folle, depuis Vienne jusqu'en Amérique, entourée et encensée de tous, Ravel, Debussy, Puccini, Charpentier, Sinclair Lewis, Alban Berg... "J'ai reçu un brin de paille de chaque être d'exception rencontré et je me suis construit un nid que j'ai défendu avec des griffes d'acier." Elle conclut en écrivant: "Le devoir de chacun est de séduire, d'attirer, de rayonner au maximum." À lire, pour l'époque, pour l'art, pour une femme.

Alma Mahler

Catherine Sauvat

Payot, Paris, 270 pages, 32,95$

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