Gâté, cruel, instable, dysfonctionnel, parfois violent, mais aussi profondément inquiet et attachant. Voilà le portrait de John Lennon, tel que brossé par l'auteur anglais Philip Norman dans sa biographie John Lennon, une vie, tout juste traduit en français chez Robert Laffont pour le 30e anniversaire de sa mort.

Lancé en anglais en 2008, cet incroyable pavé de plus de 800 pages a d'emblée été qualifié «d'ultime» et de «définitif» par la critique, ce que l'on confirme sans hésitation après lecture du livre. Mais à la grande surprise de l'auteur, Yoko Ono a refusé de cautionner l'ouvrage avant sa sortie, l'accusant en gros de s'être montré «méchant envers John». Deux ans plus tard, Norman n'en revient toujours pas.

«J'ai écrit des tas de choses sur Lennon par le passé qui n'étaient guère plus complaisantes. J'ai toujours eu la confiance de Yoko. Elle m'a donné une douzaine d'heures d'entrevue pour ce bouquin. Et je n'ai fait que relater ce qu'elle m'avait dit. Vous savez, son propre regard sur John était ambivalent. Elle pouvait être exaspérée quand elle parlait de lui. Alors sa réaction m'a sidéré», dit-il en entrevue téléphonique.

Pense-t-il lui-même avoir été «méchant» envers Lennon? «J'ai simplement fait mon travail et essayé d'être le plus précis et honnête possible, répond le biographe. J'ai simplement fait le portrait d'un être humain fascinant, mais incroyablement complexe.»

De l'inédit

Norman a rencontré Lennon deux fois dans sa vie, chaque fois comme journaliste. En 1965, quand il a réussi à se faufiler dans les coulisses après un concert des Beatles. Puis en 1969, alors qu'il couvrait la déconfiture d'Apple pour un journal britannique.

Après avoir publié un livre sur les Beatles au début des années 80 (Shout!), le journaliste a réalisé - avec un certain étonnement - qu'aucune biographie digne de ce nom n'avait été écrite sur le fondateur des Fab Four. «Soit elles effleuraient le sujet, soit c'était de la pure médisance, souligne l'auteur en évoquant le tristement célèbre Albert Goldman. Dans la plupart des cas, les informations se répétaient et entretenaient des informations erronées qui n'étaient même pas basées sur des recherches originales.»

Pour Philip Norman, il était clair que beaucoup restait à dire. Précédé par la réputation de Shout! et grâce à l'appui de Yoko (à ce moment-là), les portes se sont ouvertes et les fantômes ont ressurgi du passé. Outre Mme Ono, l'auteur a notamment rencontré feu Neil Aspinall («le véritable cinquième Beatle», dit-il), loyal employé des Beatles depuis les débuts, qui n'avait encore officiellement jamais accordé d'entrevue, et le vénérable George Martin, qui a trouvé moyen de livrer des souvenirs inédits, lui confiant, entre autres choses, que John avait agressé physiquement George pendant les séances de Let It Be.

Même Paul McCartney, qui n'a apparemment pas l'habitude de s'ouvrir à ceux qui sont de mèche avec Yoko (et vice versa, dit-il), lui a répondu généreusement par courriel. «Je dois admettre que mon opinion de lui a changé après ces échanges, souligne Norman. J'avais toujours vu Paul comme un être plutôt faux, alors qu'il est en fait quelqu'un d'authentiquement gentil.»

Et Ringo? «Je ne lui ai même pas parlé, lance Norman. Pour être honnête, je ne crois pas qu'il avait grand-chose à dire.»

Un portrait sans vernis

Trois ans d'écriture et un an de corrections auront été nécessaires à la production de cette fulgurante saga rock'n'roll, qui fait littéralement revivre Lennon sous nos yeux.

De l'enfance à Liverpool aux années punk de Hambourg, en passant par le tourbillon Beatles, le «lost weekend» et la période New York, Norman n'omet aucun détail professionnel, personnel ou musical. Cette plongée en apnée dans la vie et le cerveau du plus névrosé des Fab Four ne restitue pas seulement les faits, mais elle remet certaines choses en perspective, que ce soit la relation entre John et Yoko, ou les blessures d'enfance qui n'avaient jamais cessé de hanter l'auteur de Strawberry Fields.

Vrai que ce portrait total est livré sans vernis. Loin de l'image sainte qu'en garde la mémoire populaire, le Lennon de Philip Norman apparaît comme un véritable enfant terrible, aussi génial que fou, aussi brillant qu'infect, aussi curieux, allumé et attachant que dépressif, agressif et, oui... méchant.

Malgré tout, on finit quand même par éprouver de la sympathie pour cet artiste torturé. Car le Lennon de Philip Norman est aussi - et surtout - présenté comme un être profondément vulnérable, qui toute sa vie manquera de confiance en lui.

«Ce fut sans doute ma plus grande découverte. Réaliser que John était à ce point mal dans sa peau. Qu'il n'était jamais content de lui et qu'il n'a jamais été satisfait de ce qu'il avait créé. On le savait, remarquez. Mais je ne pensais pas que c'était extrême à ce point», avoue-t-il.

«Au fond de lui, John a toujours été profondément inquiet, conclut l'auteur. Il pouvait être euphorique. Il pouvait être excité. Mais je ne crois pas qu'il ait jamais été complètement heureux.»

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John Lennon, une vie. Philip Norman. Robert Laffont. 860 pages.

Après John, Mick!

Quelle rock star raconter après John Lennon? Philip Norman n'a pas hésité longtemps. Le journaliste planche actuellement sur une biographie de Mick Jagger. Autre vedette, autre genre d'exercice? «Les gens sont fascinés par Jagger, observe l'auteur. Mais avec ce livre, contrairement à celui sur John, je ne sens pas que le monde entier me surveille. Il y a beaucoup moins de pression.» Le projet, malgré tout, ne s'annonce pas plus facile. Car Jagger, même vivant, a refusé d'y collaborer. «Il est au courant, mais il ne parle à personne, explique Norman. Je pense que c'est pour éviter des questions gênantes sur sa vie amoureuse!»