Erwin, adolescent échappé des camps, se réveille à Naples, avec d'autres Juifs rescapés de ce que Appelfeld appelle la «catastrophe». Au milieu de ces réfugiés qui attendent le départ pour la Palestine, Erwin est «le garçon du sommeil». Sur les routes de l'exil, les hommes l'ont porté sur leur dos, car il n'arrivait pas à s'extraire de ses rêves.

Un refuge fascinant pour l'adolescent: les rêves ont l'air plus vrais que la vie. Surtout quand celle-ci se réduit à une fuite permanente pour survivre. Qu'il travaille à rendre fertile la terre rocailleuse dans un kibboutz ou qu'il languisse dans une maison de convalescence où il est soigné après des combats qui l'ont privé de l'usage de ses jambes, Erwin rêve. De la maison familiale, où il parle avec ses parents. Du retour à la ville natale: «Bientôt, je verrais ma maison entourée de son jardin.» Appelfeld plonge dans un deuil impossible, celui de l'enfance heureuse qui ne sera plus.

Le style de l'écrivain israélien, direct et laconique, évite tout artifice. Une écriture inspirée de la Bible qu'Erwin, sur son lit d'hôpital, recopie inlassablement pour devenir écrivain: «un texte extraordinaire», qui exige du lecteur d'«entendre le silence entre les mots».

L'écrivain d'origine européenne écrit l'entre-deux mondes impalpable et quasi inaccessible, car «nous manquons tous de mots lorsqu'il nous faut parler de nous-mêmes». En lisant Appelfeld, on entre dans un monde étranger qui nécessite, pour en saisir la force, un isolement et un recueillement quasi religieux.

Fraternité

La traductrice de l'écrivain israélien, Valérie Zenatti, signe quant à elle Mensonges, un petit livre qu'on peut lire dans la foulée tant elle y exprime de façon touchante la complicité qui se tisse entre un écrivain et son lecteur. Juive ayant grandi après la Shoah, Zenatti se sentit étrangère en France, puis en Israël où ses parents s'installèrent: «Pendant plusieurs mois j'ai été sourde, muette, je n'ai pas compris ce qui se disait autour de moi, je n'ai pas pu exprimer ce que je ressentais, pensais», écrit-elle. Sa rencontre avec les livres d'Appelfeld sera une révélation.

C'est par le mensonge de la fiction que la traductrice et auteure de livres - notamment pour enfants - met en scène le sentiment de fraternité qui la lie à Appelfeld. Un conte où elle prend les traits d'une petite fille qu'un garçon aide à survivre dans la forêt, alors que les loups les traquent parce que «ces enfants sont une menace pour l'humanité».

Difficile de ne pas penser à Histoire d'une vie d'Appelfeld. La forêt devient le lieu de leur âme commune. «Nous serons toujours dans cette forêt qui peut s'étendre sur toute la terre si nous le voulons», dit le garçon. Une invitation à pénétrer dans le monde d'Aharon Appelfeld, où, au fil d'une lecture lente, on découvre Erwin devenant Aharon, en même temps que le mystère d'une vie coupée entre l'Europe et Israël, entre l'allemand et l'hébreu, cette deuxième langue dans laquelle Appelfeld écrit des livres tournés vers le passé disparu.

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Le garçon qui voulait dormir


Aharon Appelfeld

Éditions de l'Olivier, 298 pages

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Mensonges


Valérie Zenatti

Éditions de l'Olivier, coll. «Figures libres», 92 pages