«La pureté est le pouvoir de contempler la souillure», «Dieu n'existe que sous la forme de l'absence.» Seul un esprit détaché des platitudes de la vie ordinaire, un esprit libéré et courageux, peut produire des formules aussi profondes qui donnent tant à penser. Ces aphorismes, qu'il convient de méditer longuement, sont de Simone Weil, «l'autre Simone» (en référence à Beauvoir), comme dit l'écrivaine et biographe Laure Adler, laquelle consacre à cette étrange mystique socialement engagée un ouvrage édifiant et émouvant.

Ce livre, Simone Weil l'insoumise (chez Actes Sud) porte bien son titre. Les initiés qui ont eu l'honneur et la chance de découvrir, par le conseil d'un ami ou par le détour d'une lecture, La pesanteur et la grâce, recueil de pensées éparpillées sur la foi authentique, sur le doute légitime, seront ravis d'en apprendre à propos de cette personne d'exception, malheureusement méconnue. «Il s'agit d'une contagion amoureuse, explique Adler. C'est un club d'amour. Quand on a lu Simone Weil on a envie que ceux qu'on aime, nos proches, connaissent ses textes. Mais on ne lit pas Weil impunément. On ne peut la lire que dangereusement. Weil n'est pas un écrivain à consommer et à ranger dans une bibliothèque. Elle m'a vraiment aidé à vivre. Je traversais une période un peu compliquée dans ma jeunesse. Une amie m'a donné un exemplaire de La pesanteur et la grâce me disant «tu vas voir, tu vas comprendre». On a le droit d'exister justement parce qu'il n'y a pas que le Moi au monde. On peut exister en faisant quelque chose pour les autres. Weil ouvre des portes. Elle a eu le même effet pour moi qu'André Gide, avec sa justification de son existence, de son Être au monde.»

 

Laure Adler, journaliste et écrivaine qui a décortiqué les existences et les travaux, entre autres figures, de Marguerite Duras et Hannah Arendt, et qui s'est beaucoup intéressée aux différents mouvements du féminisme, a aussi redécouvert Simone Weil au hasard de ses relectures: «Je l'avais un peu oubliée, j'avais fait des études de philo, je m'intéressais à l'histoire de l'extrême gauche et de l'engagement politique, j'avais un peu mis Weil de côté. Ce sont les textes de Hannah Arendt qui m'ont ramenée à Simone Weil. Ces femmes ont des similitudes. Elles étaient juives mais ne voulaient pas l'être. Elles étaient toutes deux soucieuses des autres, de l'Autre, de la relation avec l'Autre, constitutive avec la relation avec Soi.»

Simone la rebelle

Simone Weil, dont on célèbre le 100e anniversaire de naissance cette année, est morte prématurément, anorexique, dans des circonstances obscures à l'âge presque christique de 34 ans, en 1943. Simone, d'origine juive, mais issue d'une famille agnostique, a enseigné la philosophie et, prise d'une sorte d'accès à la fois mystique et empathique, a voulu se rapprocher de ce qu'on appelle chez nous le vrai monde, à savoir les prolos, les ouvriers. Il y aurait deux Simone chez Weil: la mystique, curieuse des mystères de la foi, et la militante plus ou moins assumée, désireuse de comprendre et de partager les misères des classes moins nanties, moins lettrées: «J'ai redécouvert des textes comme La condition ouvrière et surtout L'enracinement, qui ne devraient pas être considérés comme des livres obscurs et qui sont à lire aujourd'hui. L'enracinement est presque un programme politique, applicable demain à la France, au Québec. Elle y dit des choses fondamentales sur l'égalité, la fraternité, les rapports sociaux, l'émancipation de la classe ouvrière, la liberté de la presse.»

À fouiller les textes de Weil, ses «carnets» bien remplis, encore inédits, 12 000 pages en tout, Adler considère évidemment son idole comme une écrivaine véritable et non pas comme l'auteur d'un seul livre de chevet. «Elle a passé sa vie, entre 18 ans jusqu'à sa mort à 34 ans, ses journées et ses nuits à écrire. C'était une indépendante, une sauvage, voire à moitié folle.

«Elle à refusé tous les ordres sociaux, toutes les identités, elle était hors norme, hors catégorie. Certains intégristes catholiques bigots aimeraient bien la récupérer, mais elle n'était pas bigote. En somme, elle a créé sa propre religion. Elle n'aimait pas l'Église comme puissance, puissance sociale, puissance d'argent, puissance dominatrice et exterminatrice de toutes les dissidences. Elle a développé sa propre vision du catholicisme. Ce qu'elle aimait c'est la personne du Christ. Un Christ fait homme. Un Christ sensuel...»