Hélène Mercier Arnault a deux vies. De jour dans son hôtel particulier parisien, elle est madame Bernard Arnault, l'épouse d'un des hommes les plus riches de France et la mère de leurs trois fils. De soir, entre Paris, Montréal, Berlin et Moscou, madame est au piano et révèle son autre visage: pianiste de concert. Cette semaine, elle était de passage dans sa ville natale pour la promotion du livre Au fil des notes, où elle nous raconte sa drôle de vie. Rencontre.

Lorsque Hélène Mercier Arnault s'envole pour un concert quelque part dans le monde, ses valises ne sont jamais des Louis Vuitton. Le détail n'est pas anodin. Mariée à celui qu'on surnomme l'empereur du luxe, propriétaire de LVMH, le premier groupe mondial de luxe, né de la fusion de Louis Vuitton et de Moët Hennessy, Hélène Mercier Arnault est tenue de porter les marques de son mari, qu'il s'agisse des vêtements griffés Christian Dior ou de la maroquinerie Louis Vuitton. Du moins pour ses apparitions en public.

 

Pourtant, lorsqu'elle s'envole pour aller rejoindre la grande famille des musiciens classiques, pas question de parader avec ses Louis Vuitton. C'est ce qu'elle me confie assez candidement dans l'hôtel chic de la rue de la Montagne où est elle descendue cette semaine pour faire la promotion de son bouquin.

«Je ne vais quand même pas arriver en tournée parmi mes camarades musiciens avec mes valises Louis Vuitton!» s'écrie-t-elle avec une pointe d'ironie et la conscience aiguë que la richesse qui s'étale est la pire des vulgarités.

Cet après-midi, pourtant, elle porte une tunique matelot sur un pantalon blanc et des escarpins, tous griffés Christian Dior. Réfugiée dans un coin discret du hall de l'hôtel, avec ses cheveux blonds courts, ses yeux clairs et ce sourire qui ferait fondre un glacier, elle n'est pas sans rappeler Lady Di, qu'elle a rencontrée et connue.

Mais outre cette ressemblance, ce qui est frappant chez elle, c'est sa faculté de passer, avec une infinie subtilité et à la vitesse grand V, du chaud au froid. Une minute, elle vous parle avec chaleur et effusion de la musique qui a bercé toute sa vie et la minute suivante, devant un sujet qui la dérange, elle se mue en princesse de glace.

Tout ce qui a trait à son illustre et richissime mari semble l'agacer au plus haut point. En même temps, qu'elle le veuille ou non, sa vie n'est pas celle d'une femme, d'une mère ni d'une pianiste comme les autres, ne serait-ce que sur le plan de sa sécurité personnelle, qui doit sans doute faire l'objet d'une surveillance constante.

Une vie parallèle

«La musique fait en sorte que j'ai une vie parallèle, différente de ma vie avec mon mari et mes enfants, explique-t-elle. D'ailleurs, la plupart des musiciens d'orchestre avec qui je joue n'ont aucune idée de l'identité de mon mari. Et j'avoue qu'une des choses que j'apprécie le plus de cette vie-là, c'est l'anonymat.»

L'aveu ne manque pas de saveur dans la mesure où une pianiste de concert, exposée et à nu devant son public, peut difficilement prétendre à l'anonymat. Pourtant, par cette remarque, Hélène Mercier Arnault révèle l'énorme pression qu'elle doit subir en sa qualité d'épouse d'un des hommes les plus riches et les plus puissants de France, témoin (avec Martin Bouygues) au mariage de Nicolas Sarkozy et de Carla Bruni et dont la fortune, selon le palmarès du magazine Challenges, était évaluée cette semaine à 23,628 milliards de dollars.

Dans Au fil des notes, la pianiste montréalaise, fille d'un avocat et d'une reine de l'immobilier d'Outremont, évoque très discrètement sa rencontre avec Bernard Arnault. «C'était à Paris en octobre 1990, lors d'un dîner chez des amis, écrit-elle. Enfin plus précisément à la fin d'un dîner. Ce soir-là, je ne tenais pas à sortir, mais j'ai cédé à l'insistance d'Ivry Gitlis qui est venu me chercher à la maison aux environs de minuit. Une demi-heure après mon arrivée, Bernard proposait de me raccompagner chez moi.»

Pour ceux qui l'ignorent, Ivry Gitlis est un grand violoniste israélien installé à Paris, une sorte de jet-setter et de vedette médiatique, ami autant avec Yoko Ono qu'avec le compositeur Xenakis. Que ce grand maître, à l'époque âgé de près de 70 ans, aille personnellement chercher la pianiste récalcitrante chez elle, à minuit, dit tout le pouvoir du charme d'Hélène Mercier, et cela avant même de devenir la femme de Bernard Arnault. À ce sujet, elle écrit d'ailleurs qu'elle a eu du mal à imaginer que leurs sensibilités puissent un jour se rejoindre malgré la passion dévorante de son mari pour le piano classique. Pourtant, trois semaines après leur première rencontre, à son retour de tournée, les deux se sont revus et ne se sont plus quittés. Ils se sont mariés le 23 septembre 1991. Alexandre, le premier de leurs trois fils, est né l'année suivante. Frédéric et Jean n'ont pas tardé à suivre.

Mais il est peu question de la vie privée d'Hélène Mercier Arnault dans Au fil des notes, un livre qui devait au départ prendre la forme d'un entretien, à l'image de celui que son mari a publié également chez Plon, en 2000, sous le titre La passion créatrice.

Peu satisfaite de la première version du manuscrit, la pianiste a décidé de changer de style, optant pour une sorte de journal intemporel au flou artistique délibéré, où il est beaucoup question de musique et très peu de sa vie parmi les gens riches et célèbres.

La rencontre avec Lady Di

Le livre se veut aussi un hommage à sa soeur Madeleine, de six ans son aînée, une violoniste qui l'a initiée à la musique dans la maison familiale de Mont-Royal.

Au tournant de la quarantaine, affligée par une bipolarité mal soignée et aggravée par la consommation de haschich, Madeleine a mis fin à ses jours en se jetant en bas d'un édifice. C'était en 1996 et Hélène Mercier affirme que le chagrin et la culpabilité causés par la mort de Mado ont failli avoir raison de sa carrière. «J'ai perdu le goût pour la musique. Je pleurais des journées entières et je suis passée à un cheveu d'abandonner complètement le piano», raconte-t-elle.

Celle qui l'a sauvée du déluge n'est nulle autre que Lady Di. À la fin d'un concert qu'elle donnait à Londres et auquel assistait Lady Di, Hélène Mercier s'est spontanément confiée à la princesse. «C'était la première fois que je parlais du suicide de ma soeur à quelqu'un à l'extérieur de ma famille et par sa douceur, sa chaleur et sa compassion, Lady Di m'a redonné espoir.»

L'histoire est touchante et Hélène Mercier la raconte avec une belle émotion, mais impossible de ne pas y voir une complaisance un brin démagogique, sans doute encouragée par les faiseurs d'image qui la conseillent. Car il n'est pas donné à tout le monde d'avoir eu la chance d'être consolé par Lady Di. Hélène Mercier concède que le charisme de la princesse est ce qui l'a poussée à se confier à elle. Mais lorsque je lui demande si elle en aurait fait autant auprès de Carla Bruni, elle esquive la question.

Chose certaine, rien n'obligeait Hélène Mercier à s'astreindre au délicat exercice de la confession publique. Rien non plus ne l'oblige, 20 soirs par année, à quitter le confort plus que douillet de son hôtel particulier à Paris pour aller jouer du Beethoven ou du Schubert dans des villes étrangères et des salles mal chauffées.

«Mon piano est mon compagnon depuis que j'ai l'âge de 6 ans. Cesser de jouer et renoncer à ma carrière, ce serait passer à côté de moi-même. Ce n'est pas mon genre», dit-elle avec une détermination de fer au fond des yeux.

Le 12 septembre prochain, elle s'envolera pour Moscou rejoindre son ami d'enfance et complice, le pianiste Louis Lortie, avec qui elle présentera un concert à quatre mains des oeuvres de Poulenc.

En attendant, avec son mari milliardaire, son hôtel particulier au coeur de Paris, ses trois beaux garçons qui font tous de la musique, ses placards qui débordent de vêtements griffés, de parfums chics, de bijoux précieux et de valises Louis Vuitton, Hélène Mercier Arnault semble avoir tout ce qu'une femme peut désirer. Pourtant, elle conclut notre entretien en affirmant que la musique est sa plus grande richesse. Et même si, de la part d'une femme dont le mari vaut 23 milliards, le propos peut sembler invraisemblable, on a envie de la croire.

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Au fil des notes

Hélène Mercier Arnault

Éditions Plon, 186 pages