Qui dit premier roman dit souvent roman introspectif, une histoire d'amour urbaine sur fond de dérive éthylique. Exactement ce que ne voulait pas faire Catherine Leroux. «Je ne dis pas que ce ne sont pas de bons livres, précise l'auteure de 31 ans. Mais quand on écrit, sky is the limit. Pourquoi écrire sur moi quand je peux inventer n'importe qui?»

Plutôt que de parler d'elle - elle ne se juge de toute façon «pas si intéressante que ça» -, Catherine Leroux a entrepris d'écrire l'histoire d'une famille aux nombreuses ramifications. Ambitieux projet: La marche en forêt compte 24 personnages qui s'entrecroisent. La jeune femme avoue qu'elle avait envie de faire travailler un peu les lecteurs, voire de les mélanger un brin. «Je voulais qu'on se sente comme le nouveau chum ou la nouvelle blonde qui arrive dans le party de Noël d'une famille nombreuse et qui se dit qu'il n'arrivera jamais à se souvenir du nom de tout le monde!»

C'est donc un premier roman hors norme que nous offre Catherine Leroux, qui raconte par touches impressionnistes l'histoire de la famille Brûlé, laissant volontairement de grands trous, mettant l'accent sur certains personnages, privilégiant la narration aux dialogues. Un roman aussi qui se déroule à la campagne, et qui met en scène des personnages de tous les âges. «On m'a dit que je parle parfois de personnages vieux. Mais je trouve ça intéressant les gens qui ont du vécu, qu'il y ait de la diversité aussi. C'est pour ça que dès le début, je voulais une grosse famille.»

La jeune femme est fascinée par ces liens qui unissent une fratrie au cours des années, intriguée par le passage des générations, ce qui se transmet dans l'inconscient d'une lignée. C'est pourquoi elle a intégré à son histoire une aïeule, Alma, Amérindienne qui abandonnait ses enfants chaque été pour aller à la chasse, jusqu'à son départ définitif de la maison pour aller travailler à la construction du chemin de fer, puis descendre aux États-Unis faire la guerre.

En lisant La marche en forêt, on se dit en fait qu'Alma aurait peut-être mérité un livre pour elle seule, et que la multiciplicité des personnages et des thèmes abordés laissera peut-être l'auteure en manque d'inspiration. «Oh! non, ce ne sont pas les idées qui manquent! s'exclame-t-elle. En littérature, les thèmes sont souvent les mêmes, ce sont les histoires qui changent. Et pour Alma, je n'ai pas été avare. J'ai vraiment bouclé la boucle, ce que je n'ai pas fait pour tous mes personnages.»

Profondément québécois

Née et élevée dans la banlieue nord de Montréal, à Rosemère, Catherine Leroux raconte qu'elle a toujours voulu écrire. L'étudiante en philo a cependant pratiqué bien des métiers avant d'y arriver, vécu aux États-Unis et travaillé comme journaliste à Toronto, où elle a commencé son premier roman. «Quand je suis partie pour Toronto, c'était à l'époque des accommodements raisonnables, j'étais un peu tannée du Québec, je me demandais c'était quoi toute cette histoire-là. Puis j'ai commencé ce livre, et plus j'écrivais, plus je me rendais compte que c'était un roman profondément québécois. Je me pensais citoyenne du monde, mais finalement, j'ai vu que je n'étais pas aussi déracinée de ma culture que je le croyais...»

La marche en forêt commence un peu comme une litanie: «C'est un homme qui marche...», «C'est l'histoire d'une femme...», «C'est un homme qui ne trouve plus ses clés...», écrit l'auteure au début de chaque court chapitre. «Le début du livre, c'est un peu la clé pour le comprendre. C'est vraiment comme ça que j'ai commencé à l'écrire.» C'est ainsi que sont nés les membres de la famille Brûlé. Mais elle n'avait pas prévu que ce serait si ardu à construire. «Si ce livre est fragmenté comme ça, c'est parce que je ne me croyais pas capable d'écrire un roman. Mais je me disais que des nouvelles, ça oui, je pouvais. Alors j'ai décidé d'en écrire plusieurs et de les intercaler: je pensais que ce serait plus facile!»

Évidemment, la construction de La marche en forêt a été un véritable casse-tête. Qu'elle a dû retravailler avec son éditeur chez Alto, Antoine Tanguay, pour ensuite s'attarder à l'écriture avec Dominique Fortier, auteure du Bon usage des étoiles. «Des fois, il y a des phrases, tu sais que ça ne marche pas, mais tu ne mets pas le doigt dessus. Elle a été d'une grande aide pour la langue, les tournures, la formulation. Je suis privilégiée d'avoir eu quelqu'un de talent comme ça pour travailler avec moi.»

Lumineuse et consciente de sa chance, Catherine Leroux continue donc sa marche à elle, la tête pleine de projets - un nouveau roman est déjà en route. Il n'y a pas de limite à l'imagination.

La marche en forêt

Catherine Leroux

Éditions Alto, 303 pages