Avec le recueil de nouvelles Amour et autres violences, Marie-Sissi Labrèche offre à ses lecteurs ses textes écrits en filigrane de son oeuvre - la «trilogie» Borderline, La brèche et La lune dans un HLM - où l'on retrouve ses obsessions d'écrivaine depuis ses débuts.

Elle a aujourd'hui 42 ans, elle est maintenant une maman, mais Marie-Sissi Labrèche n'a pas changé. Toujours ce visage de petite fille, toujours cette boule d'énergie qui semble la consumer de l'intérieur, cette parole qui va dans tous les sens, incapable de se fixer sur un sujet, une réponse. Marie-Sissi Labrèche maîtrise mille fois mieux l'écrit que la parole, on comprend bien pourquoi elle ne peut s'en passer, même si ça fait un bout de temps qu'elle a publié.

«J'évite de participer à des débats, je ne peux pas, je ne sais pas bien expliquer les choses, dit-elle, tout en s'excusant fréquemment de ne pas être assez précise. Mon mari explique mieux les affaires que moi! C'est mon fan numéro un!»

Eh oui, elle est mariée. La cérémonie s'est déroulée précisément à l'endroit où nous faisons cette entrevue, au Café de l'Usine C, pas très loin du territoire de son enfance, source d'inspiration inépuisable. On pourrait croire, après avoir lu ses romans douloureux, que c'est un lieu qu'elle voudrait fuir, mais, au contraire, elle se sent en sécurité lorsqu'elle est en terrain connu - dans la vie comme dans la fiction. D'ailleurs, la garderie de son fils Charlie (en hommage à Charlie Chaplin) est située dans une rue parallèle à celle qu'elle habitait quand elle était enfant.

Juste après son mariage, Marie-Sissi a suivi son mari en Suisse où il avait obtenu un poste, mais elle y était malheureuse. «C'était ben plate, j'habitais une carte postale. Je suis une personne timide, j'ai de la difficulté à me faire des amis. Lorsque j'attrapais le Téléjournal à la télé et que je voyais Céline Galipeau, je me mettais à pleurer!» De retour à Montréal, elle estime vivre à «Cracovie», juste parce qu'elle habite près du Stade olympique...

Se donner naissance

Marie-Sissi Labrèche a fait bien du chemin depuis son premier texte publié, Cannes et étoiles, une nouvelle parue dans la revue Stop en 1995. «J'étais tellement contente, j'avais l'impression d'être devenue quelqu'un. Tout ce que je faisais était une question de vie ou de mort, j'y mettais toute mon énergie, mais mon monde intérieur était tellement noir... Il est moins noir aujourd'hui. Plus roux. Mon bébé est roux. C'est incroyable être roux de même!»

Amour et autres violences, c'est une douzaine de textes parus au fil des ans dans diverses revues, qui ont été des «tests» selon elle. «Je m'intéresse beaucoup à la structure dans mes écrits. Dans un roman, on ne peut pas tester, la barre est trop haute, mais tout ce que je testais dans mes nouvelles s'est retrouvé dans mes romans.» On y retrouve les obsessions de l'écrivaine: la sexualité, le corps, la mère, la folie, la violence des sentiments, les amours maladives, les blessures de l'enfance, mais aussi le désir d'enfant, ou l'enfant né du désir.

Son premier texte publié, elle le raconte dans la superbe nouvelle Mon Montréal à moi, véritable hommage à la ville, fut pour elle une naissance. Marie-Sissi Labrèche se mettait au monde, dans une joie probablement aussi grande que celle qu'elle a connue en devenant mère, et sûrement n'aurait-elle pas pu devenir mère si elle ne s'était pas, en quelque sorte, donné la vie. Ce qui n'a pas été facile. Elle n'hésite pas à parler de la folie et de la médication dans ses écrits - une nouvelle est intitulée Effexor. C'est lié à la mère, d'ailleurs, et c'est pour cette raison qu'elle a refusé pendant des années de prendre des antidépresseurs.

«Je voulais m'en sortir par moi-même, je faisais tout à la lettre pour ça, mais il y avait tout le temps un petit nuage gris sur moi. J'avais beau me forcer le cul, c'était tout le temps lourd. Quand j'ai fini par accepter de prendre des Effexor, en quatre jours, j'ai vu une différence énorme. C'est comme si j'étais passée d'Auschwitz au Club Med. J'en avais besoin. Mais c'est mal vu. Avant, j'étais dépressive, j'avais tout le temps des pensées suicidaires. Mais j'avais l'impression que j'avais le droit au bonheur -bon Dieu que je trouve cette expression quétaine- ou, au moins, un apaisement.»

Rien ne semble battre les vertus antidépressives de la maternité, qu'elle a choisie à 40 ans. «Les bébés, c'est le meilleur Prozac qui existe. J'ai arrêté de déprimer. C'est sûr que ça m'arrive... mais je n'ai plus le temps!» Car en plus de son rôle de mère, maintenant, elle continue d'écrire. Deux romans en chantier, un scénario avec Charles Binamé. Nous avons en attendant Amour et autres violences pour nous faire patienter...

Amour et autres violences, Marie-Sissi Labrèche, Boréal, 156 pages