«Nul ne se souvient du nom que lui donnaient les Indiens»... Pierre Monette a mis du temps à trouver la première phrase de son ouvrage. Il a laissé mijoter pendant une vingtaine d'années pendant qu'il continuait à rassembler les éléments, ô combien divers, de cet essai littéraire sans véritable équivalent dans la littérature québécoise récente.

Après trois ans d'écriture «à temps plein», la souris a finalement accouché... d'une montagne: Onon:ta' - Une histoire naturelle du mont Royal, qui vient de paraître au Boréal.

Le titre dit tout, mais en cache encore plus... Le terme onon:ta' désignait une montagne - mais aussi le sein et le lait - dans l'idiome des Ochehagas, la nation iroquoienne qui a accueilli Jacques Cartier et son équipage, le matin du 3 octobre 1535. L'explorateur malouin, à la manière de l'époque, a baptisé la montagne en l'honneur de François 1er, son roi, mais en a peu dit sur ladite dans son Brief recit. Pierre Monette pallie ce manque de magistrale façon dans cette «histoire naturelle» qui -tasse-toi, petit Homme! - commence il y a 450 millions d'années, quand notre montagne, avec ses soeurs montérégiennes qui s'étalent aujourd'hui de Saint-André au mont Brome, prenait tranquillement de la hauteur au fond d'un océan du sud de l'équateur.

«Mon livre a pris forme dans la rencontre entre la géologie et l'indianité», explique Pierre Monette, docteur en lettres «tardif» et ancien professeur au cégep du Vieux Montréal, qui s'est fait connaître comme essayiste au début des années90 avec deux ouvrages sur... le tango (Macadam Tango et Le guide du tango, Tryptique). «C'était déjà l'Amérique», souligne l'auteur qui aime remonter à l'origine des choses - Probe ad origine rerum - et rappeler que le «nouveau monde» a été, à bien des égards, une invention européenne.

C'est là l'un des points forts d'Onon:ta' d'illustrer, à partir de la culture et de la spiritualité des autochtones, comment ces peuples et nations des Amériques étaient en avance sur les sociétés soi-disant avancées du Vieux-Monde en matière de gouvernance démocratique, d'utilisation du territoire, de commerce, d'hygiène et de santé. Beaucoup de choses que l'histoire de nos relations avec les «sauvages» - avec les Iroquois «sanguinaires», surtout - nous a cachées, ignorance séculaire dont est tributaire le Québec moderne.

«On les ignore, on en a peur, on ne veut pas les voir», lance Pierre Monette en rappelant que Montréal est le centre urbain dont les communautés autochtones sont, physiquement, le plus près. Et pourtant, la distance est immense entre les «bâtisseurs de maisons longues» de Kahnawà:ke et les descendants des premiers colons de la Nouvelle-France. Pierre Monette, petit gars de Saint-Henri devenu habitant du Plateau, n'a jamais fréquenté ni le Mohawk ni l'Innu et ne se perçoit pas autrement que comme «la somme des [ses] lectures»: «L'Européen veut dominer la terre et la cultive à la sueur de son front. L'Indien, lui, prend juste ce qu'il lui faut: abondance ne veut pas dire surplus. De peu, il ne manque jamais...» Et le premier de percevoir l'autre comme un paresseux...

Et le mont Royal dans tout ça? Toujours au centre de cette quête de «l'esprit des lieux» qui, pour l'auteur, fait si gravement défaut à l'homme blanc, tout centré sur le temps alors que pour l'Indien, c'est le lieu qui prime: «Dans son récit, Cartier a cité le jour exact de son arrivée, mais n'a jamais précisé où il était débarqué!» À cette quête sont convoqués tant des écrivains et poètes américains comme Annie Dillard et Gary Snyder que les penseurs de l'Antiquité et de l'Europe moderne. Et ils défilent en rangs serrés en une profusion de citations qui pourrait agacer certains lecteurs: ici Woodworth et Rimbaud, là, Lucrèce et Diderot sur la même ligne, immédiatement suivis d'Héraclite cité dans le texte grec dont l'auteur propose pas moins de neuf traductions différentes! Pierre Monette assume totalement son approche d'érudit: «J'ai choisi de faire un livre de préférences plutôt qu'un livre de référence...»

L'«ainsité» de ce choix (c'est comme ça) nous amène de l'ancien réseau hydrographique de l'île de Montréal, disparu aujourd'hui sous le remblai, l'asphalte et le ciment, aux considérations sur la place qu'occupe, dans un univers de 100 milliards de galaxies, cet «éphémère et transitoire amalgame de matière» qu'est l'Homme. Et quelque part dans cette immensité défiant la raison, un homme qui, comme tous ses semblables, est le seul à être lui-même a écrit une somme unique sur une butte unique que les Ochehagas appelaient, peut-être, la montagne.

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Onon:ta' - Une histoire naturelle du mont Royal. Pierre Monette. Boréal, 380 pages.