Un pygmée mondialiste qui vend de la fausse eau suisse. Une anthropologue belge bourrée de stéréotypes. Un Casque bleu pas si bleu que ça. Un seigneur de la guerre sans scrupules. Une prostituée de 14 ans. Un Chinois avec une clé USB. Du fric, du politique, un sous-sol minier à rendre fou.... Congo inc., roman brillant, terrible et sarcastique, n'a pas volé le prix 2015 des Cinq Continents de la francophonie. Son auteur In Koli Jean Bofane, Congolais exilé à Bruxelles, était de passage au Salon du livre de Québec à la mi-avril. Il fait le point sur son livre, son pays et le réveil de la littérature congolaise.

Votre roman résume, en six personnages, tout ce qui ne tourne pas rond en République démocratique du Congo (RDC), pays pauvre... mais riche en ressources naturelles. Vous vouliez dénoncer des choses?

Je voulais réfléchir au rôle que joue le Congo en cette ère de la mondialisation. Nous sommes le premier pourvoyeur mondial de matières premières nécessaires aux technologies. Notre sous-sol minier est hyper riche. Il contient de l'uranium, du coltan, de la cassitérite, entre autres. Mais on le paie de notre chair, avec cette guerre qui dure depuis 20 ans, ses 6 millions de morts, ses 500 000 femmes violées et mutilées, qui est le premier grand drame de cette mondialisation. Pourquoi ça ne s'arrête pas? C'est la question que je voulais me poser.

Vous y répondez sans faire de compromis. Personne n'est épargné dans votre livre, pas même votre personnage principal, un «demi-Pygmée» qui se dit prêt à raser la forêt d'où il vient au nom de la mondialisation.

Il fallait être radical. Car la situation qu'on vit est radicale. Quand on voit les destins des femmes là-bas, c'est radical. On le sait. On est très conscients de ce côté dur, de cette vie qu'on nous fait mener depuis que le Congo a été colonisé. Et là, quelque part, on en a un peu assez.

Vous écrivez des choses très dures. Certaines descriptions sont pénibles. En même temps, votre bouquin est rempli d'humour...

Oui, il y a de la dérision, de l'ironie. Parce que, finalement, tout cela est dérisoire. Tuer des gens pour mettre la main sur des milliards de dollars, c'est dérisoire. Ces génocides, c'est absurde. C'est aussi parce que, quelque part, la vie est encore là. Le Congolais continue à respirer et à rire aux éclats. Il n'a pas baissé la tête. Enfin, l'humour fait peut-être partie de mon caractère. Je ne sais pas si je suis un rigolo, mais j'ai connu beaucoup de drames. Je suis un survivant, alors maintenant je défie la mort.

Vous avez 61 ans. Vous avez été publicitaire et éditeur sous le régime de Mobutu (1965-1997). Comment comparez-vous le Congo d'aujourd'hui à celui de ces années difficiles?

Aujourd'hui, c'est une situation de guerre. Ils appellent ça une «guerre de basse intensité», mais avec 6 millions de morts, je ne sais pas ce que ça leur prend... Cette guerre dure depuis 20 ans, on n'en sort pas. Et tout ça pour quoi? Pour les matières premières. Ce conflit n'a aucun objectif politique ni territorial, il n'y a que du pillage. On ne s'est même pas donné la peine de maquiller ça sous une certaine couleur. Avec Mobutu, c'était difficile. Mais là, on se bat contre quelque chose de complètement nébuleux. On ne sait pas à qui on a affaire. Rien n'est clair. Il est certain que le Rwanda est derrière tout ça. Sur le terrain, ce sont des Rwandais qui attaquent le Congo. Ou des Tutsis congolais. Mais le Rwanda n'est que le bras armé. Qui est derrière? Qui en profite? C'est ça, la question qu'il faut se poser.

Congo Inc. s'adresse-t-il aux Africains ou aux Occidentaux?

J'interpelle tout le monde. C'est un livre globalisé qui, au fond, nous dit que nous vivons dans le même monde. Tout est relié. Je ne vois pas comment je peux écrire sur le Congo sans interpeller mes frères qui sont dans le monde, Blancs, Noirs, Congolais, Canadiens, Belges, Français. Ce livre est une démonstration de notre interactivité. De nos liens. Quoi qu'on fasse, on est liés et on ne pourra jamais se sortir de cette situation seuls.

Vous vivez en Belgique depuis 1993. Le Congo vous manque?

Oui. J'adore mon pays. Les relations humaines me manquent. C'est un pays où on vit bien malgré toute cette noirceur. Les étoiles, quand elles brillent au Congo, elles brillent plus fort qu'ailleurs. Il n'y a rien qui ressemble au Congo et il n'y a rien en Afrique qui ressemble à Kinshasa. Il y a Johannesburg, il y a Lagos. Mais Kinshasa, il y a une folie. Et il y a cette culture...

Oui. On connaît bien la musique congolaise, qui a irradié sur tout le continent africain. Mais qu'en est-il de la littérature? Est-ce qu'il y a une littérature typique de la RDC?

Il y a une littérature congolaise qui existait la génération avant, ceux que j'appelle mes grands frères, dans les années 70. Mais après il y a eu un temps mort. Pour l'instant, on n'est pas vraiment nombreux. Mais ça perce quand même. Il y a moi, qui suis plus vieux, mais aussi des jeunes comme Fiston Mwanza Mujila de Tram 83, qui sont en train d'émerger petit à petit.

Comment expliquez-vous que ces gens émergent maintenant?

Parce que la nouvelle génération est fâchée. Elle est très en colère. C'est une génération qui n'a peur de rien. Qui veut montrer que toutes les règles qu'on nous a imposées sont caduques. On veut révolutionner la littérature. On ne veut plus être orthodoxes. L'orthodoxie, c'est fini. On veut de nouvelles choses. Démocratie, philosophie, économie: tout est par terre. Il faut mettre en place d'autres règles. Il faut tout repenser. Il est temps de réfléchir. Pas seulement pour le Congo, mais pour l'Occident...

Image fournie par la maison d’édition

Congo Inc. – Le testament de Bismarck, d’In Koli Jean Bofane