En hommage au grand poète martiniquais Aimé Césaire, mort le 17 avril 2008, le Festival international de la littérature (FIL) organise des activités à la mémoire du père fondateur de la négritude, le mouvement pour la défense de la culture noire.

Avant de faire paraître son célèbre Discours sur le colonialisme en 1950, Césaire a pondu un poème en 1939, alors qu'il était étudiant à Paris. Chef-d'oeuvre à la fierté des noirs, le Cahier d'un retour au pays natal a marqué les premiers pas de la lutte antiraciste. Autour de ce « chant libératoire », Rodney Saint-Éloi, écrivain d'origine haïtienne et directeur de la maison d'édition montréalaise Mémoire d'encrier, a conçu un Cabaret Césaire.

Pour Rodney Saint-Éloi, Césaire est un père universel, « l'aîné capital, le nègre fondamental, le père de ceux qui n'ont pas de père, pas de voix », lance-t-il. Le poète autant que l'homme politique (Césaire a été maire de Fort-de-France durant près de 50 ans) a insufflé à tous les opprimés un vent de liberté et de rébellion.

« Chez Césaire, l'individuel rejoint le collectif. Dans cette mise en lecture, on veut montrer le Césaire rebelle qui remet tout en question. C'est une histoire de nègres qui n'est pas inclusive, qui concerne le monde », précise Rodney Saint-Éloi.

« Il y a un effet miroir : tout le monde se regarde dans ce petit homme pauvre, ce petit Noir qui va devenir le grand Césaire, qui va rencontrer tous les « prophètes noirs » à Paris et fonder L'Étudiant noir avec Senghor. »

Les anciennes colonies se sont particulièrement reconnues dans le miroir tendu par Césaire. « Il rejoint Haïti et le Québec, car ces deux terres luttent contre l'aliénation », précise Rodney Saint-Éloi. « Au Québec, les poètes comme Chamberland et Miron ont revendiqué l'oeuvre de Césaire, parce qu'il casse le langage du pouvoir, des dominants. Ici, on se considère souvent comme des nègres d'Amérique et on se retrouve dans le combat pour la désaliénation de l'homme. »

C'est donc sous la forme d'un hommage du Québec et d'Haïti à Césaire que Rodney Saint-Éloi réunit sur scène quatre comédiens qui liront des extraits du Cahier d'un retour au pays natal, ce « legs à l'humanité. » « Chaque peuple a besoin d'une oeuvre à laquelle s'identifier », affirme le directeur artistique.

« Pour les Martiniquais, c'est le Cahier, comme L'Homme rapaillé de Miron l'est pour le Québec. » Or chacun peut se retrouver dans la révolte de Césaire, le cri inspiré d'un homme en quête de liberté.

Une fidèle héritière

Le FIL invite également Christiane Yandé Diop, qui fut au coeur de la vie littéraire de Césaire depuis ses débuts. Âgée de plus de 70 ans, elle dirige aujourd'hui les éditions Présence africaine depuis la mort de son mari, Alioune Diop. Fondée en 1947, la revue parisienne deviendra une maison d'édition et contribuera à la diffusion de la culture africaine et des oeuvres de Césaire.

« Alioune Diop a été le moteur de Présence africaine, avec ses compagnons, Césaire et Senghor, mais aussi avec des personnalités françaises comme Sartre, Camus et Gide », raconte Mme Diop, rejointe au téléphone à Paris.

Née dans le Paris d'après-guerre, alors que « les Africains, Antillais et Asiatiques se sentaient mis à l'écart et voulaient se regrouper pour parler de leur identité », Présence africaine génèrera notamment deux congrès mondiaux des écrivains et artistes noirs (Paris-1956 et Rome-1958), raconte Mme Diop. « On peut dire qu'Alioune Diop a été l'administrateur du mouvement de la négritude lancé par Césaire. Il a su réunir des hommes de toutes croyances. Il a été en quelque sorte un fédérateur. »

Mme Diop porte donc le précieux héritage de cette aventure intellectuelle et militante. « Après le décès de mon mari, ça a été difficile, mais on a tenu bon, grâce à des amitiés. Césaire nous est resté fidèle jusqu'à sa mort. »

Selon elle, le principal héritage légué par Césaire est d'avoir fait comprendre l'importance de la culture pour l'émancipation des peuples. « On a peur de la culture, parce qu'elle éveille les consciences, mais sans elle, je crois que l'Afrique avancera difficilement. »

Cabaret Césaire, demain 20  h  30, au Lion d'or. Entretien avec Madame Christiane Yandé Diop, samedi 13  h, à la Grande Bibliothèque. Infos : www.festival-fil.qc.ca