Il est tard vendredi soir, et les employés de l'hôtel Delta centre-ville en ont plein les bras. Des centaines de participants du Worldcon, le congrès mondial de la science-fiction qui se déroule actuellement au Palais des congrès, ont pris d'assaut le 28e étage de l'établissement.

La rumeur s'est vite répandue que des fêtes privées hors de l'ordinaire se déroulent au sommet de l'hôtel. Les ascenseurs ne fournissent plus à la demande, forçant les agents de sécurité à contrôler les allées et venues avec zèle. Une foule bizarre - jeunes femmes vêtues à la façon gothique, couples déguisés en héros des romans de Victor Hugo et travestis au look indescriptible - s'agglutine dans le lobby de l'hôtel. Tous portent fièrement dans le cou la cocarde officielle du Worldcon.   

Après une petite demi-heure d'attente, la porte de l'ascenseur s'ouvre enfin. Dans la cage, le bénévole aux commandes, un homme bedonnant et barbu à queue de cheval, portant une chemise hawaïenne délavée (le cliché ambulant des participants du Worldcon) appuie fermement sur le bouton « 28 ». « C'est chiant ici. Il fait chaud et il n'y a pas de bière. Mais je ne me plains pas. C'est ma B.A. du jour pour le Worldcon», lance-t-il avec un fort accent américain, avant de redescendre au rez-de-chaussée pour recueillir un nouveau voyage de participants.

Marié à un lave-vaisselle

À l'étage, il faut mettre un bon deux minutes avant de comprendre ce qui se passe. Dans les couloirs, d'autres hommes à chemises hawaïenne délavées, des barbus à lunettes démodées et des jeunes gothiques discutent, bière à la main, autour de buffets peu variés, où les cubes de fromage abondent. À une table, on propose des gâteaux et des jujubes de toutes sortes, avec une tous les condiments possibles, incluant de la moutarde. Tout juste à côté, un gros robot de plastique style années 80, dont le visage semble être fait d'un jeu de Lite-Brite, discute avec quelques jeunes femmes : « J'ai déjà été marié avec un lave-vaisselle Maytag, « mais ça s'est mal terminé », dit-il, provoquant l'hilarité dans la pièce. À la vue du journaliste, l'homme qui contrôle le robot dans le couloir avec un téléphone cellulaire se défile à toute vitesse.  

Au milieu de tout ça, des éclats d'accent français émanent d'une pièce. À l'intérieur, des dizaines de Français à l'apparence tout à fait normale discutent. Le cocktail est organisé par Bragelonne, un important éditeur français de livres de Fantasy. « Les gens sont ici pour faire du réseautage, explique Julie Martel, auteure québécoises de livres fantastiques (notamment Les fleurs du roi, publié chez Médiaspaul). Il y a des éditeurs, des auteurs, des distributeurs. On discute d'idées, de concept. »

Au fil des discussions, on comprend que bon nombre des participants sont des fan writers, qui écrivent des nouvelles fantastiques dans leurs temps libres et les distribuent comme ils le peuvent. Ils viennent ici pour se s'inspirer et pour parler de sujets pointus propres aux univers fantastiques.

Sosies de George Lucas

Le cliché de l'homme bedonnant à queue de cheval portant la chemise Hawaïenne, « c'est typique du fandom américain. Ce sont des sosies de George Lucas (le créateur de Star Wars)», suggère Pierre Pevel, auteur français réputé de SF.

« Les fans de science-fiction Américains sont des gens très bizarres. C'est une sorte de running gag de se déguiser comme ça, ajoute Julie Martel. Ça fait partie du trip. À une certaine époque, les participants avaient tous un petit toutou en peluche qu'ils trainaient partout; il y a trente ans, tout le monde portait un casque à hélice. Allez savoir pourquoi.»