Depuis les attentats du 11 septembre, Olivier Roy est devenu l'un des universitaires les plus cités dans les médias. Spécialiste de l'islamisme, il clame sur tous les toits que, contre toute attente, il s'agit d'un mouvement politique en désarroi.

Son dernier livre, La sainte ignorance, boucle la boucle. Le politologue du CNRS y expose les expériences fondatrices de ses intérêts académiques et annonce une ère de «religion sans culture». Si on voulait le paraphraser, on pourrait dire que le monde devient protestant.

 

Joint par téléphone à Paris, M. Roy ne réfute pas la comparaison. «Le protestantisme se voulait une rupture avec les institutions religieuses et privilégiait l'interprétation personnelle de la Bible. C'est un peu ce qu'on constate un peu partout dans le monde. L'islamisme se morcelle, chacun suit un imam qui lui convient. Les enfants des évangélistes américains délaissent leurs congrégations. Les jeunes catholiques vont aux Journées mondiales de la jeunesse parce qu'ils s'y retrouvent entre eux sans avoir l'impression de participer à la hiérarchie, mais ils continuent à bouder les séminaires. C'est à la marge que la religion recrute.»

Deux événements ont poussé M. Roy dans cette voie. À la fin de l'adolescence, il a rencontré, dans un groupe de jeunes protestants de La Rochelle, un nouveau venu qui proclamait à la ronde «Christ est ressuscité», suscitant l'inconfort de M. Roy et de ses amis. Puis, au lycée à Paris, en mai 68, son professeur de philosophie, François Châtelet, a affirmé que «la pensée maotsétoung est une pensée prébaconienne», en référence à un philosophe britannique du début du XVIIe siècle.

La route de l'Orient

Olivier Roy a voulu «fuir cet univers de révolution imminente devenu irréel» en prenant la route de l'Orient, mais il s'est rendu compte que, partout, «une pensée est d'autant plus influente qu'elle est pauvre et péremptoire». Et il s'est rendu compte que le jeune protestant évangélique de La Rochelle était beaucoup plus proche du christianisme originel qu'il ne le pensait: dans l'épître de saint Paul aux Romains, un passage souvent traduit par «dévotion rationnelle», ou même «raisonnable», devrait plutôt se lire «dévotion logique». Or, la logique de la dévotion exclut la raison, conclut M. Roy.

Le grand-père de M. Roy était pasteur protestant. «Nous sommes passés d'une époque de croyants existentiels, celle de mon grand-père, à la mienne, où les croyants étaient pédants, et maintenant aux croyants logiques», résume-t-il. Logiques, mais ignorants de toute la culture de réflexion religieuse amassée au fil des siècles.

«La sécularisation n'a pas effacé le religieux, déplore le politologue parisien. On assiste à un retour du pur religieux, à une reformulation militante du religieux dans un espace sécularisé. C'est ainsi qu'on peut comprendre qu'Al-Qaeda soit le groupe islamiste qui a la plus forte proportion de convertis. Ou que les défenseurs de la tradition anglicane se trouvent maintenant au Nigeria, en Ouganda ou au Kenya, alors même que l'archevêque de Canterbury propose de reconnaître la charia.»

 

Foi contre raison

Cette opposition entre foi et raison rappelle le fameux «discours de Ratisbonne» du pape Benoît XVI, qui avait soulevé les passions parce qu'il y citait une lettre critique de l'islam écrite par un empereur byzantin. Le discours était consacré à l'alliance - nécessaire, selon le pape - entre foi et raison, et se servait de l'empereur byzantin pour prouver a contrario que l'islam aussi était basé sur la raison. Cela dit, M. Roy estime que l'Église catholique est en perte de vitesse même dans les pays en voie de développement et que ses chiffres officiels d'un milliard de catholiques ne représentent que les baptêmes.

D'autres passages de La sainte ignorance font penser au débat québécois sur le cours de culture religieuse. M. Roy y décrit sa thèse de doctorat sur l'intérêt pour la Chine du philosophe Leibniz. Cet intérêt était basé sur une controverse catholique: les jésuites affirmaient, au grand dam du Vatican, que les rites chinois honorant l'empereur - notamment l'utilisation de l'idéogramme signifiant «ciel» pour le désigner - constituaient une profession de loyauté et non un culte idolâtre. Déjà, certaines pratiques religieuses étaient considérées comme culturelles.

La sainte ignorance

Olivier Roy

Seuil, 276 pages 37,95$

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