Fable humaniste douce-amère, Et je te demanderai la mer raconte la distance entre les êtres et les moyens de se rapprocher.

Après un roman sur le passage de la jeunesse à l'âge adulte (Ce n'est pas une façon de dire adieu, 2007), Stéfani Meunier poursuit sa peinture d'une humanité en fuite, écorchée vive et en mal de communication, avec un magnifique portrait sur la famille décomposée. Dan, un homme dans la quarantaine, a tout quitté et s'est acheté un vieux motel. Il ne voit plus son fils, Marco, mais rencontre Léo, le fils d'une cliente alcoolique. À travers leur amitié, fondée en partie sur leur passion commune pour les océans et les monstres marins, Dan et Léo vont s'aider à reprendre contact: Léo avec sa mère, Dan avec son fils.

Stéfani Meunier raconte avec une fine acuité psychologique les liens qui se tissent et se défont dans les familles. «J'avais surtout envie d'écrire un livre positif, de montrer que, dans n'importe quelle famille, c'est important de garder les liens et de les créer lorsqu'ils sont absents», explique l'auteure, fébrile et lumineuse, comme son roman. L'amitié devient à cet égard un moyen détourné pour reprendre contact avec nos proches. «Ça prend parfois des détours pour parvenir à nos fins», explique la romancière. «À l'origine, je voulais parler de la peur de l'engagement. Dan est l'homme type dans la quarantaine qui décroche, abandonnant femme, enfant et travail. Finalement, c'est devenu un livre sur le pouvoir de l'amitié. Dan a peur de son fils qu'il ne comprend plus et essaie de se réengager. Il pense aider Léo, mais finalement, c'est plus Léo qui l'aide à reprendre contact avec les siens.»

 

Du décrochement, Stéfani Meunier est passée à un roman sur le rachat et la reconstruction. Elle abordait la fuite dans ses précédents livres, mais ici, il s'agit plutôt de comprendre pourquoi les gens qui s'aiment ont souvent tant de mal à se rejoindre. «Rachel et Dan ne se connaissent pas parce qu'ils ne parlent pas le même langage», explique l'auteure. «Peut-être que s'ils avaient réussi à se parler, ils ne se seraient pas séparés ou n'auraient même pas été ensemble. Dan apprend à connaître Rachel par le détour. Souvent, les gens les plus proches ne se connaissent pas.»

Portée par trois narrateurs, la construction du roman rend bien compte des courts-circuits de la communication. Rachel, Dan et Léo offrent trois points de vue divergents qui cherchent à se joindre et s'éclairent l'un l'autre. Pour suggérer l'incompréhension, l'auteure a d'ailleurs inséré une conversation par MSN entre Dan et son fils Marco, un dialogue à sens unique (Marco ne répond pas). «Je voulais mettre MSN parce que c'est devenu un moyen de communication presque plus courant que le téléphone.»

Au coeur des relations entre les personnages, Stéfani Meunier a placé la mer. Telle une force réunificatrice aux profondeurs abyssales, l'océan inquiète, mais cimente aussi les rapports humains. «La mer est pour moi un lieu où on retourne en soi. J'ai vécu un an dans les Caraïbes et je suis devenue maniaque de plongée sous-marine», raconte la romancière.

Dans le livre, Dan est hydrobiologiste, Léo se passionne pour les monstres marins et le plus beau souvenir de Dan est un moment où toute la famille était réunie dans la mer. Ensemble, ils formaient un cercle, un équilibre parfait. «Quand Marco dit à son père qu'il doit voir la mer, c'est une manière détournée de lui dire qu'il l'aime encore», ajoute l'auteure.

Le titre fait aussi référence à la chanson Volcano de Damien Rice. «La chanson parle d'incompréhension. Rice dit: «Tu me donnes des kilomètres de montagnes, et je te demanderai la mer.» En somme, le couple ne se comprend pas. Pour Dan, les fonds marins lui paraissent plus familiers que le regard de son fils, mais il va émerger des abysses de la mer pour contrer ceux qui le séparent de Marco. Il n'est jamais trop tard pour se connaître.»

Et je te demanderai la mer

Stéfani Meunier

Boréal, 184 pages, 22,95$