C'est une histoire de chats et de musique, de souffrance tranquille et d'humble espérance. Autour du protagoniste et en lui-même, tout meurt. Son chat d'abord, et c'est l'annonce d'autres fins : «Blaise est mort, et mourra un peu plus chaque jour, dans un processus de deuil qui me conduira vers une intolérable sérénité.» Le personnage est singulier, attachant ppeut-être, mais peu de gens l'entourent. Il semble si fragile et si vulnérable que le moindre heurt des corps, des âmes, des mots même, pourrait le réduire à moins qu'il est, un homme errant aux rivages des choses et de la vie en y abordant à peine.

L'existence passée de ce musicien est faite de quelques échecs, dont une audition désastreuse. Il est devenu professeur de piano et collectionneur de musique populaire, chansonnettes de rien du tout, souvent traduites de l'américain, qui firent la renommée instantanée et passagère de chanteurs et de chanteuses d'ici et de France, il y a un demi-siècle. Voilà une passion qui en vaut d'autres, moins aiguë que celle qui pousse le narrateur vers les chats, parmi lesquels Blaise, qu'il a fallu se résigner à supprimer, figure emblématique de l'amour inconditionnel.

 

C'est un enfant, Alexandre, qui maintient le lien entre l'artiste et les humains. Par son charme sans artifices et son impudente innocence, il oblige son professeur à vivre de nouveau, ou tout au moins à vivre quand même, malgré des blessures anciennes innommées et une carrière avortée, malgré la solitude surtout qui sans cet ange-enfant, don du hasard, autrement serait seulement peuplée de chats. Le drame couve pourtant, le héros l'appelle, l'élève pourrait-il y contribuer? Le romancier en a décidé autrement: un collapsus psychique, ce sera bien suffisant.

Sans effort apparent, M. Mercure compose la musique du temps qui passe. Elle est tout en mineur, libre d'effets d'éloquence et de componction. Elle est la petite musique d'un écrivain qui noue et dénoue avec une intensité contenue une aventure intérieure pleine de fines nuances, sans craindre de plonger dans les zones les plus troubles de la conscience humaine.

LA MORT DE BLAISE

Luc Mercure

Leméac éditeur, 136 pages, 17,95$ ***