Ses romans policiers campés dans la campagne verdoyante et la dualité linguistique des Cantons de-l'Est connaissent un vif succès dans le monde anglo-saxon. Pourtant, Louise Penny est pratiquement inconnue au Québec. Plus pour longtemps, sans doute, avec la parution en français de son premier titre.

C'est l'histoire d'une ex-journaliste de la radio de la CBC devenue auteure à succès de polars. Ses livres, écrits en anglais, figurent au palmarès du New York Times. Son héros: Armand Gamache, inspecteur de la Sûreté du Québec.

Cinq ans après la publication de son premier roman, Still Life, l'anglo-québécoise Louise Penny le publie pour la première fois en version française. En plein coeur sort le 2 septembre chez Flammarion Québec, quelques semaines avant la parution du sixième tome des enquêtes d'Armand Gamache en version originale.

Si une telle chose existait, on classerait En plein coeur dans la catégorie des polars réconfortants. Si vous ne jurez que par les suspenses d'horreur, les thrillers sordides dans les ruelles d'une mégapole, passez votre chemin. Mais si vous aimez les énigmes policières dans la bonne vieille tradition britannique, charme bucolique et humour compris, ce roman est pour vous. Qui a tué Jane Neal, trouvée morte dans les bois, en pleine saison de la chasse?

Une sorte d'Agatha Christie des Cantons-de-l'Est. Un roman gourmand qui fleure bon les muffins et le café au lait, la dinde de l'Action de grâces, la perdrix farcie au riz sauvage... En plein coeur parle aussi de l'importance de l'amitié, de la bonté, de la famille, de la société québécoise, des deux solitudes, de l'appartenance à une communauté tissée serré dans un village fictif et trop parfait de l'Estrie.

«Le meurtre permet d'aborder toutes sortes d'autres enjeux. Peut-être plus que l'amour, je crois que nous cherchons à faire partie d'une collectivité», explique Louise Penny, belle grande dame à la jeune cinquantaine rayonnante.

C'est qu'Armand Gamache a beau être l'inspecteur-chef de la section des homicides de la Sûreté du Québec, il est loin de l'éternel flic cynique et désabusé. Francophone bilingue parlant anglais avec l'accent britannique, il porte un imper Burberry, connaît la poésie, aime sa femme et la bonne bouffe. Quelque chose comme l'homme idéal, bon, juste et attentionné. «Gamache n'est pas stupide, prévient Louise Penny. Mais il sait que le meurtre est humain.» Comme le mari de l'auteure, médecin spécialisé en hématologie pédiatrique, il sait que le monde est cruel mais que la vie est un cadeau.

La page blanche

Native de Toronto, Louise Penny a été pendant une vingtaine d'années journaliste et animatrice à la CBC. En quittant son poste, elle a annoncé en ondes qu'elle souhaitait écrire un livre. Une erreur. «J'ai eu le syndrome de la page blanche pendant cinq ans! raconte-t-elle. J'essayais d'écrire le meilleur de tous les livres, pour mon père, pour ma mère, pour mes collègues.»

La libération est venue lorsqu'elle a quitté Montréal pour la région de Sutton. Elle s'y est construit un réseau d'amies, des artistes, des écrivains, des poètes. «En voyant ces femmes magnifiques, je me suis dit que je ne voulais pas mourir sans faire ce dont je rêve depuis l'âge de 8 ans simplement parce que j'avais peur!»

Elle a écrit le livre qu'elle aimerait lire. Ainsi est né Still Life. «Il n'avait pas à être bon, ni à être publié. Seulement à être terminé.» Puis, elle l'a envoyé à des dizaines de maisons d'édition. Toutes l'ont refusé. Jusqu'à ce qu'il soit sélectionné sur la liste courte du New Blood Dagger, un prix britannique récompensant le meilleur premier roman policier. Ce fut le début d'une longue suite de prix qui a culminé avec sa mise en nomination pour le Barry Award du meilleur roman de crime et mystère de la décennie, en compagnie de Larsson, Connelly et Lehane...

Penny Pennac

«La seule tristesse de ma carrière, c'était de ne pas être publiée dans la langue de mes amis, de mes voisins», souligne Louise Penny. Quand le traducteur Michel Saint-Germain est tombé par hasard sur ses livres dans une librairie de la Nouvelle-Angleterre, il a souhaité aussitôt les traduire, sans savoir que l'éditrice Louise Loiselle souhaitait aussi les publier. «Pour moi, découvrir Louise Penny, c'était comme découvrir Daniel Pennac dans les années 80, quand il n'avait qu'un livre dans la Série noire, explique Michel Saint-Germain. Pennac, c'est plus que Maigret. C'est aussi la famille, la solidarité, l'empathie, la gouaille, l'ironie, l'exploration d'un quartier...»

«Elle parle de nous dans notre dos!» ajoute-t-il en riant. «Elle a le tact d'expliquer le Québec aux néophytes tout en parlant aux Québécois.»

Un regard sur soi

Pour un lecteur québécois, une partie du charme d'En plein coeur tient aussi à sa perspective inhabituelle, comme si on accompagnait des visiteurs chez soi. On évoque le fait français, l'obsession de la météo, le patrimoine, la bonne chère, les différences culturelles entre anglophones et francophones: les premiers croient d'abord aux droits individuels, les seconds estiment devoir protéger la langue et la culture. Les francophones sont décrites comme celles qui ne porteraient pas, pour dormir, un pyjama une-pièce de flanelle rouge avec une ouverture dans le dos...

«C'est un polar avec du coeur et de la finesse», conclut Michel Saint-Germain, qui travaille déjà à la traduction des prochaines aventures de Gamache. Il y en aura une pour chaque saison ou presque. Le dernier-né, Bury Your Dead, qui sort en anglais le 28 septembre, prend place dans le froid mordant de février, dans la petite communauté anglophone de la ville de Québec.

EN PLEIN COEUR

Louise Penny

Flammarion Québec, 333 pages. 28,95$

En librairie le 2 septembre.