Arlette Cousture n'a rien perdu de son don pour créer des personnages qui marquent l'imaginaire. L'auteure des Filles de Caleb le prouve dans ce nouveau roman, Petals' Pub, qui se déroule dans le Montréal de la fin du XIXe siècle et met en scène des héroïnes qui, comme Émilie Bordeleau, n'ont peur ni de se battre ni d'aimer.

«J'aime créer des personnages avec des émotions contemporaines, mais qui vivent dans une autre époque, dit Arlette Cousture en entrevue. Je ne suis pas une historienne qui a pour mission d'expliquer des choses. L'Histoire me sert plutôt de toile de fond.»

Le décor qu'elle a choisi pour Petals' Pub est Griffintown, quartier ouvrier du sud-ouest de Montréal, en 1884 et 1885. Une période qu'elle aime beaucoup: Les filles de Caleb commençait une décennie plus tard. «J'aime l'ambiance de fin de siècle, ce passage vers la modernité. On oublie aussi que Montréal était une grande ville à cette époque et que beaucoup de gens y vivaient. Il y avait de la pauvreté, mais aussi des gens très riches, le gros chic, et une grande disparité entre les deux. Mais est-ce que ça a vraiment changé?»

Arlette Cousture n'est peut-être pas une historienne, mais elle se passionne pour cette discipline. Vers la fin de notre rencontre de deux heures, elle me montre d'ailleurs avec enthousiasme sur une carte ancienne de Montréal les rues qu'empruntent ses personnages et leurs noms, anglais ou français, qu'elle a respectés à la lettre dans son livre. «J'adore ça», dit-elle, comme si elle avait besoin de le préciser.

Ce souci du détail associé à sa mémoire phénoménale - «Je ne sais pas ce que j'ai fait hier, mais ma mémoire passée est toujours très bonne», rigole l'auteure de 64 ans - est d'ailleurs son secret pour assurer la crédibilité de ses histoires. Elle a tout enregistré dans sa tête, dit-elle: le voyage d'une tante, la personnalité d'une amie, une anecdote, un souvenir d'enfance, tout cela l'a nourrie, des Filles de Caleb à Depuis la fenêtre de mes cinq ans, son précédent roman, en passant par Ces enfants d'ailleurs.

Libres-penseurs

Petals' Pub tourne autour de la vie et des aspirations de trois jeunes femmes d'origine modeste: Angélique la passionnée, Margaret/Marguerite la fougueuse Irlandaise et Violette la frondeuse. Toutes trois orphelines, elles arriveront à se reconstruire une famille et ne ménageront pas leurs efforts pour améliorer leur sort.

D'un livre à l'autre, Arlette Cousture tient à rappeler la place importante des femmes dans l'histoire du Québec. «Nous avons eu des ancêtres formidables et j'aime ces femmes d'amour. Elles ont eu beaucoup de courage.» Elle aime aussi leur donner une vie sexuelle active, montrer leur désir. «J'ose espérer que les femmes à cette époque ont aussi eu du fun.»

Le livre s'ouvre d'ailleurs avec Angélique, postulante dans la congrégation des soeurs de l'Espérance qui devient amoureuse d'un servant de messe. «C'est le premier personnage qui est né. Ça m'intéressait de parler des exaltées, qui sont un peu les ancêtres des anorexiques. Beaucoup de religieuses étaient pâles, maigres. On pouvait voir dans leur visage que ce n'était pas le grand bonheur.» Étrange hasard, Micheline Lanctôt s'est intéressée un peu au même sujet dans son plus récent film, Pour l'amour de Dieu. «Mais elle, son personnage ne sort pas.»

Angélique, de son côté, choisit l'amour humain et charnel avec le bel Eugène, étudiant en médecine et issu de la haute bourgeoisie. Le moyen pour l'auteure de parler des rapports de classe, mais aussi de tout un courant de libres-penseurs qui existait pendant ces années-là. «Des gens qui étaient proches de la science, catholiques mais pas aigus, qui n'avaient pas d'oeillères.»

Ce courant est incarné par le jeune couple et par le père d'Eugène, Edmond de la Durantaye, qui deviendra un peu l'ange gardien du groupe. Reste qu'Arlette Cousture a rarement été du côté des bourgeois et a toujours aimé montrer les gens humbles, refusant toutefois le misérabilisme. Dans Petals' Pub, Angélique, qui rêve de devenir boulangère, Violette, qui veut être couturière et Margaret, qui aimerait ouvrir une auberge, se battent avec fierté et toute la fougue de leur jeunesse. «J'aime la jeunesse, c'est vrai, parce que c'est une période où tout bourgeonne.»

Exigeant émotivement

Arlette Cousture a consacré sept ans à Petals' Pub, qui a mis du temps à éclore. Elle a carrément perdu une première version, puis une partie de la deuxième. C'est ainsi que pour la première fois de sa carrière, elle lance un livre sans avoir d'autre projet en marche. «Ce livre a été très exigeant émotivement», dit celle qui dit adorer «l'acte écrivant».

Allant sans temps mort d'un rebondissement à l'autre et d'un drame à une joie, Petals' Pub est du Arlette Cousture pur jus, efficace et bien construit. Une structure très américaine, lui dit-on souvent, ce qu'elle prend comme un compliment. Tout comme elle assume pleinement son statut d'écrivaine non pas «populaire» mais «accessible», capable de happer son lecteur dès la première page.

«C'est vrai que je n'écris pas des livres d'auteurs, mais de personnages. J'ai déjà dit à un écrivain connu que je n'étais moi-même pas très émouvante, mais que mes personnages l'étaient. Alors il m'a répondu: mais continuez, ma chère. Ç'a été long avant d'avoir la reconnaissance de mes pairs, mais c'est important aussi.»

Petals' Pub, d'Arlette Cousture. Libre Expression, 413 pages. En librairie mercredi.