Avec Griffintown, Marie Hélène Poitras propose un western poétique dans l'univers des cochers du Vieux-Montréal, ces derniers cow-boys urbains au même tragique destin que leurs montures. Une virée dans le «Far-Ouest» qu'on n'est pas près d'oublier.

L'homme et la bête étaient présents dès son premier roman, Soudain le Minotaure, récit très dur d'une agression, du point de vue de la victime et du point de vue de l'agresseur, récompensé par le prix Anne-Hébert en 2003. Le meilleur prix qu'on pouvait lui offrir, car il y a ce souffle poétique et cette violence «hébertiennes» qui traversent tous ses écrits.

Cette fois, elle campe l'intrigue dans un «Far-Ouest» montréalais où semblent se superposer les époques, le passé à la fois glorieux et douteux d'un monde où les chevaux dominaient, jusqu'à cette modernité qui les menace. On lit: «Comme les cochers, les chevaux qui échouent à Griffintown traînent plusieurs vies derrière eux. On les prend tels qu'ils sont. C'est pour eux aussi, bien souvent, le cabaret de la dernière chance.»

Cela faisait des années que l'écrivain rêvait de nous offrir ce magistral tour de calèche dans un univers qu'elle connaît bien et que la plupart des Montréalais ne connaissent pas. Marie Hélène Poitras a conduit une calèche pendant deux étés, mais sa passion des chevaux remonte à loin. Enfant, elle vivait dans l'Outaouais, il y avait une écurie pas très loin, elle a piaffé d'impatience avant d'avoir la taille requise pour pouvoir monter son premier cheval.

«Tout de suite, j'ai été folle de ça, se souvient-elle. Il y a beaucoup de petites filles qui ont ce casting, discrètes, sensibles, dans la lune, mais qui apprennent à maîtriser quelque chose de sauvage et de fougueux, et à s'affirmer à travers ça. Je suis tombée à cheval un million de fois, j'ai une grande cicatrice dans le dos, beaucoup de blessures. Mais j'avais toujours envie de remonter. J'aime les chevaux nerveux, qui ont le sang chaud...»

Marie Hélène Poitras ressemble bien sûr à Marie, personnage central de Griffintown, une «pied-tendre» qui veut se tailler une place dans le cercle fermé et difficile des cochers. Par elle, nous découvrons une galerie de portraits pittoresques de ce milieu mystérieux, peuplé d'hommes et de femmes qui en ont bavé. Plusieurs personnages sont inspirés de cochers qu'elle a connus, et le roman est dédié à celui qui l'a prise sous son aile.

«Quand je dis que c'est le lieu de la dernière chance, c'est pour les chevaux comme pour les hommes qui les conduisent, précise-t-elle. Les cochers ont souvent leurs légendes, en raison du personnage qu'ils jouent pour les touristes quand ils conduisent la calèche. Mais tu finis par connaître la vraie histoire. Un tel s'en va en prison à l'automne, tel autre revient d'Afghanistan, un autre est un ancien itinérant...»

Ce sont ces hommes qui lui ont offert sa plus belle expérience d'écrivain, lorsqu'elle a écrit la nouvelle La mort de Mignonne, qui donne son titre à son recueil de nouvelles paru en 2005. Mignonne, jument mythique, qui a traversé la ville dans une course folle, et dont le fantôme traverse Griffintown.

«Quand Mignonne est morte, j'ai écrit une nouvelle et je l'ai donnée à Alice, l'un des rares cochers dont je n'ai pas changé le nom dans le roman. Je me souviens, cette journée-là, les cochers se passaient la nouvelle en dessous des bancs de calèche. Il y en avait qui pleuraient, d'autres qui me disaient que j'avais changé plein de détails... C'est la plus belle expérience de lecture que j'ai vécue comme auteure.»

La littérature à bride abattue

La passion de la littérature s'est ajoutée à celle des chevaux lorsque Marie Hélène Poitras est allée étudier à Montréal, où elle a quand même rapidement déniché les écuries du Vieux-Montréal. Elle ne s'étonne pas que les chevaux se retrouvent dans ses romans, ni qu'elle les cherche dans d'autres, comme De si jolis chevaux de Cormac McCarthy qu'elle cite en exergue de Griffintown.

«Lorsque tu mets un cheval dans un livre, c'est tout le rapport aux instincts, au territoire et à l'animal en nous qu'on explore. Je fais attention de ne pas trop les «anthropomorphiser». Quelqu'un m'a dit un jour que je donnais une âme aux chevaux... Mais je ne sais même pas si j'en donne une aux humains!»

C'est en se tournant vers le polar - un genre dont elle raffole - que le côté western de Griffintown lui est apparu. «Je me suis retapé les films Il était une fois dans l'Ouest, Le bon, la brute et le truand. Tu as tout le temps une espèce de lyrisme qui traverse les images et la musique de Morricone, et je voulais rendre ce lyrisme à travers l'écriture.»

Pari tenu. Il y a à l'intérieur des frontières de Griffintown des méchants qui traitent les hommes de chevaux comme des bêtes, alors que ceux-ci ne sont que tendresse pour elles, malgré la dureté de leur vie. C'est que Griffintown est envahie par les promoteurs immobiliers. Les chevaux et leurs cochers vont-ils disparaître?

«C'est la question, dit Marie Hélène Poitras. Les chevaux font partie de notre histoire, ils ont été super importants à une époque. Est-ce que nous voulons protéger ça? À Québec, ils ont pris en charge les écuries, les calèches, les cochers. Il me semble qu'avec le Vieux-Montréal sans calèches, il manquerait quelque chose...»