Au début des années 90, Bernard Werber, journaliste scientifique toulousain, publie la trilogie des fourmis, qui raconte les contacts entre deux civilisations intelligentes qui s'ignorent. Il en vend 10 millions d'exemplaires. Depuis, au rythme approximatif d'un roman par année, il entretient un cercle de lecteurs fidèles. Son dernier roman, Le miroir de Cassandre, mêle catastrophe environnementale et mythe grec. Il s'est rapidement hissé au sommet des ventes en Europe francophone.

«Je pense que dans mon cas, il faut privilégier l'idée sur le style.» Cette phrase de Bernard Werber, confiée à L'Express en 2001, illustre bien le dialogue de sourds qu'il entretient depuis près de 20 ans avec la critique.

Auteur de best-sellers à l'imagination débridée, mais aux dialogues et aux descriptions au mieux faciles et au pire ampoulés, l'écrivain d'origine toulousaine s'est taillé une place de futurologue dans la littérature française actuelle. Avec toute l'autocertitude et le mépris des conventions que ce genre d'écriture implique.

Il est arrivé jeudi à Montréal pour le Salon du livre, avec dans sa besace un dernier roman, Le miroir de Cassandre, qui a rapidement atteint le sommet des palmarès des libraires en France. Il s'agit de l'histoire d'une adolescente autiste dotée de la capacité de prévoir l'avenir, mais qui, comme la Cassandre du mythe grec, n'est pas crue par ses congénères. L'avenir qu'elle prédit, miné par la pollution et la surpopulation, n'est pas rose. Et contrairement à la Cassandre grecque, elle est par la suite accusée par les générations futures de n'avoir pas su prévenir la catastrophe.

Werber ne sombre pas dans l'environnementalisme bon enfant. Il décrit par exemple comment la fermeture d'un incinérateur par un maire écologiste de Paris a provoqué une crise des ordures et des décharges sauvages dans la ville. En entrevue avec La Presse, il confirme que le mouvement environnemental fait parfois fausse route. «Croire qu'on peut être altermondialiste et écologiste en même temps, c'est une erreur. On ne peut pas à la fois régler les problèmes de pollution et les inégalités économiques entre les pays riches et les pays pauvres.»

Surpopulation

Cette discussion sur le mouvement environnementaliste est l'occasion de prendre la mesure de ses certitudes. Par exemple, il faut l'entendre rejeter du revers de la main les évaluations de la croissance attendue de la population mondiale - les démographes de l'ONU prévoient que le cap des 9,1 milliards d'âmes sera atteint en 2050, ce qui sera suivi d'une lente croissance ; leurs rivaux autrichiens de l'IIASA pensent que le pic des 9 milliards ne sera jamais dépassé. «La population actuelle est sous-évaluée, décrète M. Werber. On parle de 1,3 milliard pour la Chine, mais des dirigeants chinois m'ont avoué qu'ils sont 1,6 milliard. Et comment voulez-vous qu'on se fie aux recensements en Afrique et dans les dictatures?»

Pour «remettre la nature au centre», l'ancien journaliste scientifique se réfère aux trois vexations: «Premièrement, Galilée nous a dit que le Soleil n'est pas au centre de l'univers. Deuxièmement, Darwin nous a dit que l'homme est un animal comme les autres. Troisièmement, Freud nous a dit que l'homme est lui aussi guidé par sa libido.»

Opimiste

Souscrit-il aux thèses mettant sur un plan d'égalité l'homme et l'animal? Le philosophe américain Peter Singer, par exemple, pose la question de la valeur comparée d'un animal et d'une personne souffrant d'un handicap mental. «Je ne lis pas les autres, je n'ai pas le temps d'être à la fois récepteur et producteur, prévient M. Werber. Mais ça me semble une idée subversive et malsaine. Je ne me pose pas ce type de question. L'homme est plus intelligent et donc a une plus grande capacité d'action. C'est ce qui me rend optimiste qu'on trouvera une solution qu'on ne voit pas. On fait toujours trois pas en avant et deux en arrière, c'est quand même un pas dans la bonne direction. L'intelligence et la sagesse finiront par gagner.»

L'autre question que voulait aborder M. Werber est l'éducation des enfants. «Il faut valoriser l'individu. On calme les enfants qui sont différents avec des produits, alors qu'il faudrait plutôt les introduire à la peinture, la littérature, l'art, la musique. Je pense qu'il faut communiquer de manière ludique comme je le fais.»

Qu'en est-il de l'effort, qui fait l'objet de tant de débats en éducation au Québec? «C'est important de faire des efforts, mais j'utiliserais plutôt le mot "oeuvre". C'est comme les épinards: certains enfants n'aiment pas ça, mais quand on les leur sert frits ou en sauce, ça change.»

Quel est son projet actuel? «Une enquête scientifique qui sera aussi un polar. Ça traitera de pollution, mais ça demeure assez secret.»

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Le miroir de Cassandre

Bernard Werber

Albin Michel, 632 pages, 31,95$

Conférences: samedi et dimanche, 16h. Dédicaces: samedi et dimanche, de 14h à 15h.