Il a fallu 16 ans à Jane Austen pour placer son premier roman. Mais Sense and Sensibility, publié en 1811, allait se révéler le point de départ d'une carrière qui se poursuit toujours, deux siècles plus tard. L'importance de ce bicentenaire n'est pas passée inaperçue.

«En rétrospective, il est assez surprenant de constater combien il a été difficile pour Jane Austen de publier ses romans», explique Claire Harman, romancière britannique qui a publié en 2009 Jane's Fame, une biographie retraçant les origines de son succès. «Elle a commencé à solliciter des éditeurs alors qu'elle avait 22 ans, mais il a fallu attendre 14 ans de plus pour que Sense and Sensibility soit publié. Elle a connu un relatif succès pendant sa brève carrière, puis il a fallu attendre la fin du XIXe siècle, avec la publication des premières biographies de Jane Austen, pour qu'elle entre au panthéon des géants culturels comme Shakespeare ou Dickens. Chaque nouvelle génération d'artistes et de lecteurs la redécouvre. On dit souvent qu'il y a un regain de popularité de Jane Austen, mais, en fait, ça ne faiblit jamais. Les livres se vendent toujours, les films tirés de ses romans sortent régulièrement, quelques-uns au moins par décennie.»

Jane Austen, fille d'une famille de la noblesse provinciale désargentée, n'a publié que quatre livres de son vivant - deux autres l'ont été peu après son décès à l'âge de 42 ans, en 1817. «Elle a énormément retravaillé ses livres, dit Mme Harman. C'est pour ça qu'on a encore du plaisir à les lire, même si la société, les conventions et les restrictions de l'époque n'existent plus. Son analyse des relations entre les sexes, à l'intérieur des familles, entre frères, soeurs et parents, est toujours valide. Elle a beaucoup réfléchi à la complexité des relations humaines.»

L'auteure a été qualifiée de «grand-mère de la chick-lit» et est régulièrement citée dans les recensions de livres et films pour jeunes femmes, de la série télé Gossip Girl aux livres de Lauren Weisberger (The Devil Wears Prada), en passant par la série de romans Luxe d'Anna Godbersen, qui se déroule dans la haute bourgeoisie de New York à la fin du XIXe siècle. Helen Fielding a déclaré d'emblée que sa série Bridget Jones s'inspirait de Pride and Prejudice (Orgueil et préjugés), une comparaison qui a même été explorée dans une thèse de doctorat à la Sorbonne.

«J'ai toujours aimé Jane Austen», explique Polly Shulman, New-Yorkaise qui a publié en 2007 Enthusiasm, qui a été traduit l'an dernier sous le titre La fille qui voulait être Jane Austen. Son roman raconte l'histoire d'une adolescente passionnée de Pride and Prejudice et qui s'en sert pour aider une copine à trouver un amoureux. «Je trouve qu'elle a un don pour montrer comment les gens ont souvent des motifs inavoués: ils disent qu'ils veulent aider, alors qu'au fond, ils ne sont que jaloux et mal intentionnés, par exemple. C'est un sentiment très fort pour notre époque, avec tous les doutes sur les versions officielles des événements. Et depuis toujours, les jeunes adultes ont traversé une phase où ils remettent en question ce qu'on leur dit.»

Mme Shulman a écrit son livre après avoir perdu son travail d'éditrice de la section littéraire d'un journal de Long Island. «J'avais toujours eu plein d'idées de romans. J'ai décidé de ressortir tous ces premiers chapitres et j'ai choisi celui sur Jane Austen.» Depuis, elle a publié deux livres sur une collection d'objets magiques tirés des contes des frères Grimm, qui serait hébergée par la bibliothèque municipale de New York.

Le bicentenaire de Sense and Sensibility a inspiré une fonctionnaire californienne, Laurel Ann Nattress, qui a créé le «défi du bicentenaire», un club de lecture mettant en vedette les livres de et sur Jane Austen. «J'ai eu 200 inscriptions de gens qui se sont engagés à lire les 100 oeuvres que nous proposerons d'ici la fin de l'année, dit Mme Nattress. C'est phénoménal.»

L'internet a permis aux fans de créer des liens comme jamais auparavant. «Ç'a vraiment aidé les initiatives privées autour de Jane Austen, dit Claire Harman, la biographe. Il y a une foule de livres qui imaginent le destin des personnages des romans, de leurs enfants, ou qui transposent l'intrigue dans d'autres contextes. Il y a en ce moment une mode pour les histoires de vampires avec la trame de romans de Jane Austen. Ou alors, qui s'imaginent l'histoire de la meilleure amie, ou des frères et soeurs de Jane Austen. C'est unique dans l'histoire de la littérature, mis à part peut-être la Bible.»