Lauréate de deux prix Numix récompensant les productions multimédia, la boîte de graphisme Toxa, mieux connue pour avoir créé le magazine Urbania, célébrera son 10e anniversaire cette année. Rencontre avec son président et cofondateur, Philippe Lamarre, «apprenti tycoon» des médias.

Q: En plus de la boîte de design graphique Toxa et du magazine Urbania, vous produisez des contenus télé et un site web. Êtes-vous en train de bâtir un petit empire médiatique?

R: C'est la seule façon que nous avons trouvée pour survivre. En soi, le magazine Urbania est une entreprise déficitaire, mais, en menant plusieurs projets de front, des contenus qui se répondent et qui sont reliés, on arrive à financer tous nos projets. J'appelle ça de la convergence bio. Avons-nous peur de perdre notre âme? C'est une réflexion quasi quotidienne. Jusqu'ici, ce n'est pas le cas. Quand on a commencé, on disait nous-mêmes qu'Urbania était un croisement entre le Journal de Montréal et la collection Que sais-je ?. On a toujours voulu avoir un petit côté populiste tout en conservant un côté très edgy, avec nos unes notamment, qui sont nos cartes de visite. Le défi, c'est de garder notre cohérence à travers tout ça. Il arrive qu'on refuse des annonceurs dans le magazine si leur publicité ne correspond pas à ce qu'on veut faire.

Q: Avec le recul, comment vois-tu l'évolution de ton entreprise?

R: On n'a jamais eu de plan d'affaires, mais on a toujours su qu'on voulait faire davantage que du graphisme. Je le disais à l'époque de la naissance d'Urbania: en graphisme, on travaille sur le crémage du gâteau. Nous, on voulait aussi faire le gâteau, renouer avec la communication, créer du contenu. Avec le temps, je dirais qu'Urbania est devenu plus qu'un magazine, c'est un concept, une façon de regarder le monde. Mais ça reste aussi notre laboratoire, notre bulle de liberté.

Q: Dirais-tu que le magazine a beaucoup changé avec les années?

R: D'une façon, oui, car c'est devenu une affaire de filles. C'est une fille, Catherine Perreault-Lessard, qui est rédactrice en chef, et toute l'équipe est féminine. Pour ce qui est du contenu, il y a moins de capsules et plus de longs textes. On fait de plus en plus de «gonzo journalism» ou, si tu préfères, de journalisme narratif. On aime bien raconter l'histoire derrière l'histoire. On essaie d'avoir au moins deux ou trois textes plus longs par numéro. Et puis on est moins montréalocentriste, on a élargi notre regard, qu'on pose maintenant sur l'ensemble du Québec. Oui, on s'adresse encore aux gens dont le code postal commence par H2, mais on a aussi des lecteurs qui proviennent de Matane, de Val-d'Or, etc. Bref, Urbania, c'est devenu une communauté d'esprit, c'est un magazine qui s'adresse aux gens curieux du Québec.

Q: Récemment, sur le site d'Infopresse, tu as déclaré que c'était la fin de la tyrannie des médias traditionnels. Que voulais-tu dire au juste?

R: Simplement qu'on a été habitué, dans les médias, à avoir des figures d'autorité qui parlent au peuple du haut vers le bas. Aujourd'hui, les médias, c'est beaucoup plus un échange, surtout avec l'arrivée des médias sociaux.

Q: Justement, vous avez consacré votre dernier numéro aux médias sociaux comme Facebook et Twitter. Est-ce qu'ils ont modifié votre façon de faire le magazine?

R: Honnêtement, au début, je me disais: «Les médias sociaux, c'est comme un chien qui a constamment faim, il faut que tu remplisses son bol de moulée plusieurs fois par jour.» Mais, avec le temps, j'ai réalisé que ça me nourrissait aussi. Twitter est devenu ma principale source d'information, même si je continue à lire les journaux et les magazines. Quant à Urbania, je dirais qu'il a été un magazine 2.0 dès le départ. On faisait des vox-pop, des appels à tous pour préparer le contenu du magazine et on le fait encore plus aujourd'hui. On est un média grassroot, on consulte les gens sans arrêt sur Facebook: on teste des sujets, on fait des mini groupes de discussion, on utilise Facebook pour la recherche. En fait, les médias sociaux font en sorte qu'on est une équipe encore plus grosse pour préparer Urbania.

Q: Vous avez remporté deux prix Numix la semaine dernière pour vos productions multimédia...

R: C'était la première présentation des prix Numix et c'était vraiment réussi. Il y avait des prix pour récompenser la publicité, la télévision, mais rien pour les contenus multimédias qui ne sont pas publicitaires. Or, il se fait des choses super intéressantes et il y en aura encore plus. Avec les nouvelles règles du Fonds des médias (qui oblige les productions à créer un contenu multimédia), les gens commencent à réaliser que ce n'est pas seulement une «patente» que tu rajoutes à la fin de ton projet, mais bien quelque chose qui doit faire partie de la conception dès le début. À Urbania, on traite l'image et les mots de la même façon, les deux sont importants. Dans le milieu du multimédia, on est une petite communauté hybride, des gens qui touchent à tout, qui ne pensent pas en fonction d'un format mais plutôt en fonction des idées qu'ils déclinent ensuite de toutes sortes de façons. À mon avis, c'est là que se trouve l'avenir des communications.