Il y a un an, Kory Teneycke était le directeur des communications de Stephen Harper. Il est aujourd'hui l'architecte de SUN TV News, que Quebecor espère lancer d'ici au mois de janvier. Militant conservateur de longue date, passionné des médias et des communications, Kory Teneycke est mieux connu des milieux politiques fédéraux que des Québécois. Portrait d'un homme sûr de lui.

En mars dernier, Kory Teneycke a conclu ainsi une conférence sur la place du mouvement conservateur dans les médias canadiens: «Nous faisons bien les choses à l'écrit. Nous faisons bien les choses à la radio. Nous faisons plutôt bien les choses en ligne. Mais nous sommes terribles à la télévision.»

 

«Si nous voulons avoir du succès en tant que mouvement, nous devons être à la télévision d'une manière beaucoup plus importante qu'aujourd'hui. C'est notre défi.»

M. Teneycke participait à la «conférence de réseautage 2010» du Manning Centre for Building Democracy, un groupe de réflexion fondé par Preston Manning, l'ancien chef du Reform Party.

Trois mois plus tard, presque jour pour jour, M. Teneycke, ancien directeur des communications de Stephen Harper, tenait une réunion dans les bureaux parlementaires de la chaîne SUN Media. Cette fois, il s'adressait aux journalistes à titre de vice-président au développement de Quebecor. Il a annoncé son plan à l'équipe d'une douzaine de personnes: mettre sur pied une chaîne télévisée anglophone d'information en continu, qu'il a comparée à plusieurs reprises à la chaîne américaine FOX News.

C'était la semaine dernière. La nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre dans les milieux journalistiques, où certains ont exprimé la crainte que le Parti conservateur et le bureau du premier ministre ne cherchent encore une fois à contrôler les médias.

Depuis, des appels au calme ont été lancés, à commencer par Kory Teneycke et par le PDG de Quebecor, Pierre Karl Péladeau, qui ont présenté leur projet mardi à Toronto. Ils l'ont décrit essentiellement comme un LCN anglais qui allierait nouvelles-chocs et débats d'opinions.

Même les partis de l'opposition, d'ordinaire prompts à dénoncer tout ce qui bouge au Parti conservateur, ont réagi prudemment. Près de six mois avant l'éventuel lancement de SUN TV News, la plupart s'accordent à dire qu'il vaut mieux patienter avant de se prononcer.

Mais, dans l'attente, des questions continuent à se poser: alors qu'il s'apprête à façonner ce qui pourrait devenir l'une des télévisions les plus populaires au Canada, que veut Kory Teneycke? Et d'abord, qui est-il?

De la ferme au bureau du premier ministre

L'homme de bientôt 36 ans a grandi à Young, en Saskatchewan, dans une famille d'agriculteurs. Il s'est intéressé très rapidement à la politique: dès l'université, à Ottawa, il a adhéré au Parti progressiste-conservateur, qu'il a rapidement quitté pour se joindre au Reform Party. Étudiant, il a aussi milité activement pour l'union de la droite au Canada. Il a notamment contribué à l'organisation de la conférence Winds of Change, au milieu des années 90, avec celui qui deviendra le conseiller en communications de George W. Bush, David Frum.

Au Reform Party, Kory Teneycke s'occupait surtout de communications. Cet intérêt s'est accru au gré des postes qu'il a occupés par la suite, tant en politique que dans le secteur privé, que ce soit au cabinet du premier ministre ontarien Mike Harris, entre 2000 et 2002, à la présidence du Canadian Renewable Fuels Association, ou comme directeur des communications du premier ministre Stephen Harper entre juillet 2008 et juillet 2009. Il avait auparavant été chef du bureau de recherche conservateur, où il a notamment coordonné les attaques médiatiques contre l'image de Stéphane Dion et contre sa taxe sur le carbone.

«Je l'ai vu progresser des communications en politique étudiante jusqu'au bureau du premier ministre», résume aujourd'hui le chef du défunt Reform Party, Preston Manning, qui a rencontré Teneycke il y a plus de 15 ans.

«C'est un jeune homme très intelligent», a précisé M. Manning.

L'arrivée de Kory Teneycke au poste de directeur des communications de Stephen Harper, à l'été 2008, se voulait une rupture avec le style de son prédécesseur. Sandra Buckler, dont les relations avec la presse parlementaire étaient pour le moins houleuses, avait la réputation de contrôler l'information à l'excès. M. Teneycke, affable et au ton toujours calme et posé, est à tout le moins parvenu à rétablir une certaine cordialité dans les échanges entre le pouvoir fédéral et les journalistes parlementaires.

Mais il n'est pas resté longtemps: il a remis sa démission environ un an après sa nomination. Il n'a fallu que quelques semaines pour qu'il reçoive de Quebecor le mandat d'explorer la faisabilité du projet de station de télévision.

Selon plusieurs, dont Don Newman, journaliste de longue date à CBC, cette idée de lancer un genre de Fox News canadien remonte à loin. «La première fois que j'ai rencontré Kory Teneycke, il m'a dit que le Canada avait besoin d'un Fox News», a récemment écrit M. Newman sur son blogue. Cette rencontre avait eu lieu en 2003.

De la politique aux médias

Mais en plus d'être un bon communicateur, une people person, comme le décrit son ancien patron Preston Manning, Kory Teneycke est aussi connu comme étant combatif, voire presque hargneux. Il a montré récemment ce côté de sa personnalité lorsque, sur les ondes de CBC, il a pris à partie le président d'EKOS Research, Frank Graves. Se fondant sur une chronique parue dans le Globe and Mail et sur ses dons politiques, il l'a accusé de dicter une stratégie libérale de division, insultante pour «la plupart des Canadiens, les Canadiens des zones rurales et les gens de l'Ouest canadien».

Lors de cet affrontement, il a fait une autre déclaration qui, depuis sa nomination au poste de VP de Quebecor, a été rappelée à plusieurs reprises: «Je suis un conservateur, avait-il martelé en fixant la caméra. Je donne de l'argent au Parti conservateur. Je travaille aux campagnes électorales. Ce que je dis, c'est mon opinion professionnelle de la politique, mais ça vient aussi d'un conservateur. Donc, appliquez le filtre que vous voulez.»

Aujourd'hui, quand on lui demande s'il profitera de l'occasion qui s'offre à lui pour permettre au mouvement conservateur d'«avoir du succès» à la télévision, comme sa présentation au Manning Centre en mars pouvait le laisser entendre, il répond qu'il s'agit d'abord d'une question de «business».

«Mon point sur la télévision, c'est qu'il n'y a pas de diversité, dit-il. Que ce soit la droite ou la gauche. En fait, il n'y a pas d'opinion. Il n'y a pas de débats éditoriaux à la télévision. Et je pense que c'est quelque chose que les Canadiens apprécieraient, quelles que soient leurs convictions politiques.»

Quant à savoir s'il travaillerait encore au Parti conservateur pour organiser une campagne électorale, par exemple à l'automne, il tranche net: c'est hors de question. «Je ne serai pas impliqué en politique active pendant que j'occuperai ce poste. Ce serait un conflit d'intérêts évident.»

«Ma vie était en politique, ajoute-t-il encore. Maintenant elle est dans les médias. C'est là-dessus que je me concentre.»

Tentera-t-il alors de devenir membre de la Tribune de la presse parlementaire - qui exige de ses membres que le journalisme soit leur occupation et source de revenu principales?

«Je n'ai pas encore pris de décision», répond simplement Kory Teneycke.