L'invention de la pilule, la libération des moeurs sexuelles, l'arrivée massive des femmes sur le marché du travail, l'accès des filles aux études supérieures... Difficile de prendre la mesure de l'effervescence qui régnait dans les années 60 et 70 tellement nous sommes confortables, nous les femmes, dans notre vie actuelle.

Pendant de nombreuses années, le magazine Châtelaine, qui célèbre ses 50 ans aujourd'hui même, s'est fait l'écho des revendications féministes de l'époque.

Nouvellement arrivée au magazine (elle a travaillé à L'actualité durant plusieurs années), la journaliste Louise Gendron a contribué au numéro anniversaire, le plus gros de son histoire avec ses 364 pages, qui sera disponible en kiosque demain. «J'ai remonté le fil éditorial des 50 dernières années, note-t-elle. Il y a tellement de choses à raconter et c'était intéressant de voir mes collègues les plus jeunes découvrir des faits historiques et se surprendre de la situation de la femme il y a 40 ou 50 ans.»

À titre d'exemple, elle raconte cette anecdote relatée par Fernande St-Martin (l'une des premières rédactrices en chef de la publication, qu'elle a quittée en 1973). «Elle m'a raconté que Judith Jasmin avait écrit un texte prenant position en faveur de la gratuité de l'éducation pour les filles, au même titre que les garçons. Après avoir rendu son texte, elle a rappelé Mme St-Martin, hésitante, car elle craignait que la publication du texte lui coûte son emploi de journaliste. Pour une femme, prendre position de la sorte pouvait être dangereux.»

Les années 60 et 70 ont été une époque dorée pour Châtelaine, qui publiait des signatures aussi prestigieuses que Marie-Claire Blais, Alice Parizeau ou Anne Hébert.

Avec les années, l'impact de Châtelaine s'est étiolé et les prises de position ont cédé la place aux chroniques plus intimes, certains diraient plus «je-me-moi». Aujourd'hui, Châtelaine, dont 30 % du lectorat est composé d'hommes, est un magazine qui se porte très bien au point de vue du lectorat mais qui s'est fait beaucoup plus discret sur la place publique. Au point où on peut légitimement se demander quel est devenu le rôle du magazine dans la vie des femmes? Confident? Accompagnateur? Vendeur de vêtements et de produits de beauté?

Trop intimistes?

Anne Darche, spécialiste des tendances et consommatrice boulimique de magazines, reproche aux magazines féminins dans leur ensemble d'être trop intimistes, pas assez dans le monde actif, le monde de demain. «Je les feuillette et je me demande: qu'est-ce qui nous aide, dans ces pages, à nous projeter dans l'avenir? Ma réponse: rien. C'est incroyable! Les filles sont plus nombreuses à l'école, elles réussissent mieux que les garçons, ce sont elles qui vont diriger le monde de demain et on leur offre encore des recettes et des chroniques sur comment je me sens! Est-ce qu'on veut laisser l'avenir et l'audace aux hommes? Où est la techno, l'économie dans les magazines féminins? Ça me rend triste, on dirait qu'on veut encore laisser les hommes décider où on s'en va.»

Les patronnes de Châtelaine auraient-elles fait le même constat? Voilà que pour souligner son demi-siècle, le mensuel semble vouloir renouer avec la prise de parole en lançant 50 entrevues avec 50 femmes marquantes au Québec (voir encadré). Y a-t-il là une volonté de jouer un rôle plus actif dans l'espace public, de se réapproprier un rôle plus significatif? L'éditrice Marie-Josée Desmarais, qui a succédé à Lise Ravary devenue aujourd'hui éditrice-adjointe à La semaine, le confirme. «On a fait une relance discrète du magazine en juin dernier et l'embauche de Louise Gendron, reporter depuis des années, est un parti pris en faveur d'un contenu encore plus fouillé, de longs reportages, explique Mme Desmarais. On s'adresse à environ 950 000 personnes chaque mois, c'est beaucoup. On peut faire bouger des choses, inspirer les femmes, alimenter la réflexion comme nous l'avons fait avec le dossier consacré aux lesbiennes publié le printemps dernier et qui a fait fortement réagir. On a bien l'intention de poursuivre dans cette direction.»

«Oui, le magazine féminin est un média émotionnel, poursuit l'éditrice de Châtelaine. Et nous ne vivons plus dans une époque ultra-féministe comme dans les années 60, mais cela ne signifie pas qu'il n'y a plus rien à dire, à défendre. J'ai le même âge que le magazine et je vois bien qu'à 50 ans, on sait qui on est et on a envie de faire quelque chose avec ce qu'on a. C'est la même chose pour Châtelaine. J'ai un fantastique véhicule entre les mains, je compte bien l'utiliser pour avoir un impact.»

Femmes de parole

Pour souligner son 50e anniversaire, Châtelaine s'est associé aux productions Bazzo Bazzo pour réaliser 50 entrevues avec 50 femmes marquantes du Québec. Produits par Marie-France Bazzo, réalisés par la journaliste Geneviève St-Germain, ces courts entretiens donnent la parole aux Québécoises incontournables, de Janette Bertrand à Véronique Cloutier en passant par Lise Payette et Renée-Claude Brazeau. Elles répondent toutes aux mêmes questions: certaines sur le ton de l'humour, d'autres de façon beaucoup plus solennelle, mais toutes de façon très sentie. Sur la beauté, la lutte des femmes ou sur le long chemin de l'autonomie, elles livrent des témoignages qui se rejoignent parfois ou qui s'entrechoquent. Lorsqu'on colle tous les morceaux, on se retrouve face à un très beau portrait de la Québécoise en 2010.

Les capsules seront diffusées sur le site de Châtelaine à raison d'une par semaine. L'arrivée du projet Femmes de parole (www.femmesdeparole.com) sera au coeur de grands changements qui doivent être apportés au site d'ici le début de l'année 2011. «Nous souhaitons créer un lieu de rencontres pour toutes les femmes, un lieu de débat et d'échanges où les femmes de partout au Québec pourront s'exprimer», note l'éditrice de Châtelaine, Marie-Josée Desmarais. De son côté, la productrice Marie-France Bazzo se dit complètement emballée par le projet et compte bien l'enrichir au cours des prochains mois en ajoutant d'autres entrevues, en déclinant peut-être Les femmes de parole sur d'autres plateformes. Bref, les possibilités sont infinies et le projet semble avoir redonné un second souffle à Châtelaine

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