Posez la question autour de vous, vous constaterez que de moins en moins de personnes regardent le bulletin d'information de fin de soirée. Ce rendez-vous autrefois incontournable disparaît tranquillement des habitudes des Québécois.

Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène: les gens regardent les nouvelles plus tôt, à 18h, 19h ou 21h, ou encore ils ne les regardent plus du tout, car ils ont l'impression d'avoir été informés durant toute la la journée par la presse quotidienne, la radio, les écrans géants dans le métro, les publications gratuites ou encore par l'internet.

Les chiffres le confirment: au cours des dernières années, la moyenne d'écoute des bulletins d'information de 22h a décliné. Aujourd'hui, les cotes d'écoute du Téléjournal de Céline Galipeau oscillent autour de 273 000, ce qui équivaut à environ 11 parts de marché. Radio-Canada a refusé de nous fournir les données des dernières années, mais, à titre d'exemple, Le Téléjournal/Le Point avait une part d'auditoire de 18,7% à l'hiver 2005, selon le rapport annuel 2004-2005 de la société d'État.

De son côté, TVA, qui domine toujours en fin de soirée, a attiré en moyenne autour de 566 000 personnes entre le 6 septembre et le 31 octobre derniers, ce qui équivaut à 24,6 parts de marché. En 2004, TVA avait environ 40 parts de marché avec des moyennes d'auditoire autour de 800 000 à 900 000 téléspectateurs ainsi que quelques sommets de 1 million.

«Le bulletin de nouvelles de 22h, peu importe le réseau, n'est plus le rendez-vous qu'il a déjà été», confirme Francine Marcotte, vice-présidente de Cossette Média, qui indique que «les auditoires sont plus importants lors de gros événements de l'actualité ou encore le dimanche, après des émissions locomotives comme Occupation double à TVA et Tout le monde en parle à Radio-Canada».

«On note un déclin qui se confirme encore un peu plus cet automne, ajoute Francine Marcotte. Il y a désormais une plus grande offre télévisuelle autre que l'information à 22h. Sans compter que les gens s'informent ailleurs. On le voit dans les statistiques: la consultation des sites d'information et des journaux en ligne augmente.»

Constat partagé par André H. Caron, professeur au département de communications de l'Université de Montréal. «On assiste à une mutation générale de la consommation des contenus, souligne-t-il. Il y a un éparpillement. Les gens se sont réfugiés à 21h, à RDI ou ils regardent les nouvelles de l'heure à LCN.»

«Je crois aussi que les gens se couchent plus tôt, poursuit-il. La nouvelle est offerte en tout temps. On assiste donc, dans un premier temps, à un phénomène de redondance et, dans un deuxième temps, à un phénomène de désuétude de l'information.»

Quelle stratégie?

Au service de l'information de Radio-Canada aussi, on a constaté qu'il y a désormais moins de gens à l'écoute à 22h. «Les pressions sont fortes à cette heure, note Alain Saulnier, directeur général de l'information à Radio-Canada. Les chaînes spécialisées, le hockey, la compétition accrue de V et de RDS... Ajoutons à cela le fait qu'il y a plusieurs occasions de s'informer durant la journée et on arrive à la conclusion qu'il n'y a plus un rendez-vous incontournable en information.»

L'arrivée dans le paysage de V, qui propose Un gars, le soir, talk-show animé par l'humoriste Jean-François Mercier, en a déstabilisé plusieurs. La revue de l'actualité en direct du garage du «gros cave» (c'est ainsi que Mercier se nomme) attire le même nombre de téléspectateurs que le Téléjournal de Céline Galipeau, soit environ 273 000 personnes.

«Je ne crois pas que notre auditoire vienne de Radio-Canada, nuance Tim Ringuette, directeur des communications de la chaîne V. Les gens viennent des chaînes spécialisées. Notre mission première est le divertissement et nous avons décidé d'offrir quelque chose de complètement différent à 22h. Ça répondait à un besoin puisque nous sommes désormais les premiers dans le créneau des 18-34 ans et les seconds dans le créneau des 18-49 ans.»

Que peuvent faire les chaînes devant ce désistement qui semble irréversible? «Les chaînes de télévision font face à un défi, celui de proposer une approche différente, estime le professeur André H. Caron. Pour se distinguer, il faut miser sur les enquêtes, sur la mise en contexte de l'information.»

Alors que TVA continue à présenter un bulletin d'information traditionnel axé sur la nouvelle du jour et les enquêtes (le patron des nouvelles, Serge Fortin, a décliné notre demande d'entrevue), Radio-Canada tente une approche différente. «On a démarré un certain nombre de choses, reconnaît le grand patron de l'information, Alain Saulnier. Au Téléjournal, il y a désormais un peu moins d'énumération de nouvelles. On va en profondeur sur certains sujets et on présente aussi nos exclusivités issues d'émissions comme Découverte, Enquête, La Facture, etc.»

Un exemple: le 21 septembre dernier, en pleine commission Bastarache, le TJ ouvrait avec un reportage de Sophie Langlois sur la famine au Soudan, un choix qui ne s'est pas fait sans discussions au sein de l'équipe. Interrogé à ce sujet, Alain Saulnier affirme que Radio-Canada va continuer dans cette direction.

Récemment, on a également vu des ajouts surprenants au Téléjournal, comme les coups de coeur littéraires de la chroniqueuse judiciaire Isabelle Richer. A-t-on l'intention de transformer le bulletin d'information en magazine de fin de soirée? «Je crois que c'est exagéré de parler de magazine, mais on veut montrer qu'on peut étonner, répond Alain Saulnier. Isabelle est une fille qui a une grande culture; on a décidé d'essayer cette formule. Mais on est conscient qu'il faut être prudent. Si on change trop nos habitudes, on risque de dérouter bien du monde. Cela dit, est-on totalement satisfait de la formule actuelle du bulletin d'information? Non. On continue à l'évaluer et à l'améliorer.»

Peut-on penser que le jour viendra où il n'y aura tout simplement plus de bulletin d'information de fin de soirée au petit écran? La réponse d'Alain Saulnier fuse. «Absolument pas.» On en reparle dans 10 ans?