Le 2 juillet dernier, la version en ligne du Times de Londres est devenue entièrement payante. Trois mois plus tard, le nombre de visiteurs mensuels avait chuté de 42%, selon la firme Nielsen. Pourtant, le propriétaire du Times, Rupert Murdoch, n'en démord pas. Il croit que la formule payante, qu'il compte implanter dans ses journaux australiens l'an prochain, est la seule solution pour sauver la presse écrite, un avis qui est loin d'être unanime.

«Je ne crois pas que la formule de l'abonnement payant soit LA réponse pour les journaux, estime Joshua Benton, directeur du Nieman Journalism Lab de l'Université Harvard. Cela dit, je crois que c'est une bonne idée que des journaux tentent l'expérience, car jusqu'ici, tout le monde en parlait, mais personne ne le faisait.»

 

Le Times de Londres n'est pas le seul quotidien à ériger un mur payant autour de son contenu. Le Wall Street Journal et le Financial Times, pour ne nommer que ceux-là, offrent également un contenu payant, à divers degrés. L'an prochain, le New York Times et le Boston Globe (ces journaux ont le même propriétaire) vont également instaurer une formule payante. Pour le New York Times, il s'agit de la seconde tentative. En septembre 2005, le journal avait lancé Times Select, une formule qui exigeait des lecteurs qu'ils payent un abonnement pour avoir accès aux chroniqueurs vedettes, au grand déplaisir de ces derniers. L'expérience aura duré deux ans. Pourquoi revenir à la charge cinq ans plus tard? «Les gens sont plus ouverts à payer aujourd'hui», a déclaré Janet Robinson, PDG du New York Times, dans le cadre de la conférence annuelle d'éditeurs de journaux à Hambourg, en Allemagne, le mois dernier.

Le New York Times doit annoncer dans quelques semaines la forme que prendront les paiements, mais pour plusieurs observateurs du monde des médias, dont Jay Rosen, professeur de journalisme à la New York University, les journaux devraient continuer à offrir gratuitement les articles qui contribuent à leur réputation.

«Le produit doit être supérieur pour qu'on fasse payer, renchérit Joshua Benton, du Nieman Journalism Lab. Un exemple: je suis abonné à une lettre d'information sur le monde de l'édition. Je paie 20$ par mois parce que je trouve ça important. Mais la plupart des journaux, eux, sont des journaux très grand public, avec un contenu plus général. Si le Boston Globe devient payant, les lecteurs pourront se tourner vers les radios et la télévision locales qui offrent une option gratuite, peut-être pas d'aussi haut niveau que le Globe, mais assez bonne aux yeux de bien des lecteurs. C'est exactement cette réalité qui représente le plus grand défi pour les journaux.»

Dans ce contexte, il va sans dire que l'éventualité de voir disparaître une bonne partie de leur lectorat fait hésiter bien des journaux à instaurer une formule payante sur le web. Pas grave! répondent les partisans de cette approche, Rupert Murdoch en tête. Les lecteurs payants représentent une cible de choix pour les annonceurs que les journaux veulent attirer sur leur site.

Encore une fois, la «doctrine Murdoch» est loin de faire l'unanimité. «L'attention a une valeur, c'est pour cela qu'en anglais on dit: «Pay attention», affirme à La Presse Seth Godin, grand gourou du marketing aux États-Unis. Lorsque vous faites payer quelqu'un pour vous donner quelque chose dont vous avez besoin, c'est-à-dire leur attention, ils iront ailleurs, avec raison, là où on les accueille et on les apprécie.»

«Le mur payant n'est pas la solution pour tout le monde, renchérit Joshua Benton. La plupart des journaux aux États-Unis risquent d'éprouver d'importants problèmes si leur accès payant est trop strict. Le succès repose sur l'exclusivité du contenu, mais aussi, et surtout, sur la valeur que les lecteurs accordent à ce contenu.»

La valeur du contenu. Cette question est au coeur de la réflexion actuelle.

Sur son blogue, il y a quelques semaines, Seth Godin, auteur d'une dizaine de bouquins sur le marketing, a écrit que «le commerce repose d'abord sur un prix, et ce prix est fixé en fonction de la rareté. La rareté, pour sa part, exige qu'il n'y ait pas tellement de concurrents à votre produit. Des sites de nouvelles érigent stupidement des murs payants qui exigent des lecteurs qu'ils payent pour avoir accès au contenu. C'est stupide parce qu'on peut trouver facilement des solutions de rechange à ce contenu. Si je ne peux pas avoir accès au Times de Londres, pas de problème, je vais trouver la même nouvelle, ou à peu près, ailleurs. Les journaux doivent donc travailler plus fort pour créer un contenu original et irremplaçable.»

Même son de cloche de la part de George Brock, directeur du département de journalisme de la City University, à Londres. «Un des problèmes de la presse écrite, a récemment écrit M. Brock sur son blogue, c'est que la valeur que les gens accordent à l'information est en baisse. Une des explications de cette baisse est le fait que depuis l'avènement de l'internet, les lecteurs sont désormais en mesure de comparer facilement les contenus, ce qui était assez difficile auparavant. L'absence d'originalité, la diminution des budgets des salles de rédaction et la prolifération des sources contribuent également à cette dévalorisation de l'information.»

Un point de vue que partage Joshua Benton du Nieman Journalism Lab. «On croit que seuls les journaux de qualité vont s'en tirer, mais c'est mal poser le problème, croit-il. Ce n'est pas la qualité, mais bien la valeur que les lecteurs accordent à ce qu'on leur offre qui compte. Les journaux locaux peuvent mieux tirer leur épingle du jeu, car ils offrent quelque chose d'exclusif, des informations importantes aux yeux des résidants d'une localité. En fait, ce sont les journaux entre les deux, ceux qui offrent un contenu général comme le Baltimore Sun ou le Dallas Morning News qui risquent que décliner.»