Dans toute la réflexion entourant la crise de la presse écrite, c'est sans doute Nick Thomas, analyste à la firme Forrester Research, qui a le mieux expliqué la quête de nouvelles sources de financement. M. Thomas compare la situation des journaux à celle des salles de cinéma au siècle dernier. Il rappelle qu'après la crise des années 20, ces dernières ont dû revoir leur approche en modernisant leur produit (arrivée des films couleur), mais surtout en inventant de nouvelles sources de revenus. C'est à ce moment qu'est née l'idée de vendre du pop-corn, un produit désormais intimement lié au cinéma et qui génère des profits d'environ 95 %.

Les journaux doivent à leur tour trouver leur pop-corn, conclut M. Thomas dans un rapport intitulé Creating New Revenue Around Content: Find Your Popcorn, publié en juin dernier.

 

L'approche de M. Thomas change la donne. Jusqu'ici, les journaux, qui n'ont pu faire autrement que de se déplacer sur le web au cours des 10 dernières années, tendent à vouloir vendre leur contenu en ligne.

M. Thomas leur dit qu'ils ont tout faux. Les journaux doivent plutôt utiliser ce contenu pour créer de nouvelles sources de revenus.

«On constate que les gens achètent beaucoup sur l'internet, écrit-il dans son rapport. Le truc est donc de miser sur l'auditoire présent sur votre site en lui vendant autre chose.»

En d'autres mots, le contenu devient une sorte d'aimant pour attirer les lecteurs qui sont aussi des consommateurs.

«Il y a plusieurs façons de générer des revenus sans faire payer les lecteurs pour le contenu du journal, souligne Joshua Benton, directeur du Nieman Journalism Lab de l'Université Harvard. On peut organiser des conférences, des expositions, commanditer des événements.»

Journaux-boutiques

Les journaux peuvent aussi se transformer en boutique en vendant des produits à leurs lecteurs. Certains journaux et magazines l'ont compris et, depuis quelques années, on assiste à diverses expériences dans le monde entier. Le quotidien britannique The Telegraph, par exemple, vend du vin. En parallèle, il procure des conseils sur les accords mets et vin et organise des activités gastronomiques. Le magazine Monocle, créé par le Canadien Tyler Brûlé, a ouvert quant à lui des boutiques un peu partout dans le monde (la plus récente à New York, dans le West Village). On y vend des produits associés au mode de vie des lecteurs de Monocle: accessoires en cuir, papeterie, articles de voyage, etc. L'expérience la plus récente est celle du magazine Wired, qui a ouvert vendredi dernier une boutique temporaire dans l'ancien édifice de Tower Records, dans NoHo. On y vend des étuis d'ordinateurs, des sacs, etc.

Une des expériences les plus concluantes dans le domaine de la diversification des sources de revenus, selon Joshua Benton, est celle du tabloïd Aftonbladet. Il s'agit du quotidien le plus lu en Suède et de l'un des premiers titres à être présents sur le web, au milieu des années 90.

Aftonbladet offre la grande majorité de son contenu gratuitement mais propose aussi une section Plus à laquelle les lecteurs peuvent s'abonner pour environ 4 $ par mois (ou 43 $ par année). On y trouve des informations pratiques sur les voyages, la santé, ainsi que des guides pratiques sur l'auto, l'immobilier, etc. Les articles portant sur la famille royale suédoise sont également payants (une idée pour les journaux québécois: faire payer pour les articles sur Céline Dion!).

Une équipe composée de cinq personnes choisit les contenus du journal qui se retrouveront dans la section Plus qui comprend également deux clubs de lecteurs: un consacré à la perte de poids, l'autre à la lutte contre l'insomnie.

Aujourd'hui, Aftonbladet estime que de 10 à 12 % de ses revenus proviennent de ses activités en ligne. Le site attire environ 5 millions de visiteurs uniques par semaine. Dans un pays de 9,3 millions d'habitants, c'est beaucoup.

Pour en savoir plus

Pour en savoir plus sur l'expérience suédoise, vous pouvez lire cet excellent compte rendu sur le site MediaShift (article du 27 septembre 2010). Vous pouvez également visiter le site du journal Aftonbladet à l'adresse suivante: www.aftonbladet.se. La connaissance du suédois est un atout.

Pour lire sur les murs payants érigés par les journaux et leur impact sur le lectorat, je vous propose le site du quotidien britannique The Guardian qui y consacre toute une section à l'adresse suivante: www.guardian.co.uk/media/paywalls

Je vous recommande également le site paidcontent.org qui s'intéresse à l'économie des contenus numériques.

Enfin, le site poynter.org a publié de nombreux textes et analyses sur la question des murs payants érigés par les journaux.

Photo: fournie par Aftonblandet

Le journal Aftonbladet montre l'exemple en matière de diversification des sources de revenus.