Facebook a beau compter plus de 500 millions d'amis, le choix de Marck Zuckerberg comme personnalité de l'année du magazine TIME ne fait pas l'unanimité.

Il faut dire que le jeune président de ce réseau social, âgé de 26 ans, aurait très bien pu recevoir ce titre l'an dernier. Ou l'année d'avant.

Mais le jury formé par l'hebdomadaire américain a déterminé que 2010 avait été une année déterminante pour Zuckerberg. «Nous l'avons choisi parce qu'il a connecté plus d'un demi-milliard de personnes et qu'il a cartographié les relations sociales entre tous ces individus», a expliqué l'éditeur de TIME, Richard Stegel, mercredi dernier. M. Zuckerberg a créé une nouvelle façon d'échanger de l'information et, en définitive, une nouvelle façon de vivre nos vies.»

Mais ces explications n'ont pas semblé convaincre l'opinion publique. Même les lecteurs de TIME avaient choisi quelqu'un d'autre, en l'occurrence Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, plébiscité par 382 026 internautes sur le site de l'hebdomadaire comparativement à 18 353 votes pour Zuckerberg. Partout sur les sites internet des grands quotidiens du monde, les internautes contestent le choix de la publication. Ce commentaire du quotidien français Libération résume bien l'opinion générale exprimée un peu partout sur le web: «On attendait Julian Assange, le porte-parole emprisonné de WikiLeaks, et c'est le visage de Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, qui s'affiche à la une du magazine américain TIME (...). Un choix soft plutôt qu'un choix hard pour un magazine qui a pu se montrer plus audacieux par le passé.»

Le choix de Mark Zuckerberg est d'autant plus surprenant que 2010 n'aura pas été une année sans heurts pour Facebook. Durement critiqué pour son manque de respect de la vie privée de ses utilisateurs, Facebook a également été ridiculisé par l'animateur d'un talk-show de fin de soirée, Jimmy Kimmels, qui a lancé le National Unfriend Day, le 17 novembre dernier, afin de dénoncer, disait-il, la désacralisation de l'amitié telle que la promeut Facebook.

Quant à Mark Zuckerberg l'individu, égratigné dans le film The Social Network, qui brosse un portrait somme toute peu flatteur du jeune dropout de l'Université Harvard, il s'est lancé depuis dans une vaste entreprise de relations publiques afin d'adoucir son image: entrevue à l'émission d'affaires publiques 60 Minutes, don de 100 millions de dollars à des écoles publiques de Newark, au New Jersey, promesse solennelle de léguer une grande part de sa richesse à des oeuvres caritatives... Bref, on peut dire que le titre prestigieux que lui attribue le magazine TIME vient couronner les efforts qu'a faits Zuckerberg dans les derniers mois pour renvoyer une image plus sympathique.

Protéger la vie privée

Au-delà du personnage, il faut donc comprendre que TIME a choisi d'attirer l'attention sur Facebook, le média social, et sur l'impact qu'il a dans nos vies d'Occidentaux multitâches. Or, le dossier de Facebook est loin d'être sans tache: un peu partout dans le monde, des organismes de défense de la vie privée dénoncent le fait que les renseignements qui y sont publiés peuvent être lus et utilisés par des personnes à qui ils n'étaient pas initialement destinés.

Au Canada, où on compte plus de 15 millions d'utilisateurs, la commissaire à la protection de la vie privée, Jennifer Stoddart, a publié il y a un peu plus d'un an un rapport sur la gestion des renseignements des internautes par Facebook. Elle s'y est montrée très sévère à l'endroit de l'entreprise américaine: information incomplète, conservation de renseignements, manque de transparence... La commissaire Stoddart observait en outre qu'un utilisateur peut désactiver son compte, mais qu'il est très difficile de le supprimer complètement, ce qui permet ainsi à Facebook de conserver les renseignements personnels d'un utilisateur durant une période indéterminée.

En octobre dernier, le Wall Street Journal a découvert que plusieurs applications offertes sur Facebook avaient transmis à des entreprises des données sur l'identité de millions d'utilisateurs, «y compris les utilisateurs qui avaient réglé leurs options de confidentialité pour que leur profil soit totalement privé». Bref, la conduite de Facebook est loin d'être exemplaire.

Pourquoi pas Assange?

Alors que Facebook divulgue de façon pas toujours légitime des renseignements personnels comme la date de naissance ou le restaurant préféré de ses utilisateurs, Julian Assange, lui, dévoile à la face du monde de l'information confidentielle qui a un impact sur la politique internationale et les relations diplomatiques entre les gouvernements. Comme l'explique si bien l'éditeur de TIME, Richard Stegel, au fond, Zuckerberg et Assange sont les deux faces de la même médaille. Il ajoute toutefois qu'on se souviendra du fondateur de WikiLeaks comme d'une note en bas de page de l'Histoire. Peut-être. Mais avec le temps, Julian Assange pourrait également symboliser la soif de transparence et le ras-le-bol généralisé des citoyens ordinaires qui voient en WikiLeaks une tentative de démocratisation du contrôle de l'information. Si c'est le cas, alors c'est TIME qui se sera trompé.