Comment dépoussiérer un journal de rue distribué par des sans-abri et qui fait tellement partie du paysage urbain montréalais qu'on ne le remarque presque plus?

C'est le défi que doit relever Catherine Girouard, qui dirige les pages de L'Itinéraire depuis un mois aujourd'hui.

Après trois années passées au quotidien gratuit Métro, la jeune journaliste avait envie de réconcilier deux valeurs importantes à ses yeux: l'information et le sentiment de se sentir utile. Là voilà donc, à 24 ans, à la tête de ce bimensuel unique puisqu'en plus d'être une publication-école qui accueille des stagiaires, L'Itinéraire est également un outil de réinsertion sociale ainsi qu'un objet de fierté personnelle pour les quelque 350 sans-abri qui le distribuent dans la ville.

Pour 125 d'entre eux, les plus assidus, vendre L'Itinéraire est devenu une façon de gagner des sous sans mendier puisque la moitié du prix de 3 $ par exemplaire leur revient directement.

L'Itinéraire, qui est membre de l'International Network of Street Papers, a pour mission première de donner la parole à ceux qui ne l'ont pas. Mais la publication est à un tournant et souhaite se réinventer en revoyant sa ligne éditoriale. On aimerait également augmenter le tirage, question d'attirer davantage d'annonceurs. «Quand on regarde L'Itinéraire aujourd'hui, c'est difficile de le décrire en quelques mots», affirme la nouvelle rédactrice en chef, rencontrée dans les locaux du journal, angle De Maisonneuve et De Lorimier. On réfléchit actuellement au contenu du magazine. «Le thème qui m'intéresse, c'est la jungle urbaine. Nous y vivons tous: employés de bureau, sans-abri, étudiants. Ce sera la trame autour de laquelle nous allons redéfinir le contenu de L'Itinéraire

Priorité aux sans-abri

Revoir le magazine, donc, mais sans toucher à ce qui le distingue de toutes les publications distribuées au centre-ville de Montréal: les espaces réservés aux sans-abri qui leur permettent de s'exprimer et de se raconter.

L'exercice est délicat puisque tout le monde n'est pas écrivain ou journaliste. C'est pourquoi chaque matin, un comité de bénévoles (anciens enseignants, rédacteurs, etc.) se rend dans les locaux de L'Itinéraire pour donner un coup de main en encadrant ces gens de la rue qui désirent s'exprimer. Parfois, ils les aident à rédiger leur texte ou, encore, ils recueillent leurs impressions qu'ils coucheront ensuite sur papier. L'important, c'est que l'intention de l'auteur soit respectée.

L'expérience est enrichissante pour tout le monde, assure Catherine Girouard qui côtoie également ses camelots au café L'Itinéraire qui loge dans le local voisin du journal. La jeune femme dit être émerveillée par la richesse des gens de la rue, «des détenteurs de bac, des artistes, des poètes... Il y a plein de gens talentueux, mais on ne les écoute pas sous prétexte qu'ils sont mal habillés et qu'ils parlent tout seuls, à voix haute».

Installée à Montréal depuis quatre ans seulement, Catherine Girouard, qui est originaire de Québec, se dit très touchée par la solitude extrême dans la métropole. «Il y a du monde, mais les gens ne se voient plus», observe-t-elle.

Naufragés des villes

Ses propos rejoignent en quelque sorte la thèse de Naufragés des villes, nouvelle émission diffusée sur RDI dans laquelle deux personnes «ordinaires» font l'expérience de vivre en ville avec seulement 19 $ par jour dans leurs poches (les deux participants étaient les invités de Guy A. Lepage dimanche dernier à Tout le monde en parle).

La rédactrice en chef de L'Itinéraire est complètement emballée par le concept. «On le sait, à L'Itinéraire, que la sensibilisation, ça ne vend pas. C'est pour ça qu'on choisit de mettre des vedettes à la une, parce que ça attire les gens. Le concept de Naufragés des villes aborde la pauvreté d'une façon originale. On a tous entendu les commentaires du genre: ces gens-là profitent du système. En prenant deux personnes ordinaires, l'émission efface ce préjugé défavorable dès le départ et réussit à sensibiliser les gens. Je trouve ça inspirant.»

On pourra voir les fruits de cette inspiration dans un avenir rapproché, quand Catherine Girouard et son équipe lanceront un Itinéraire «nouveau et amélioré».

Le magazine verra également à la refonte de son site internet et devrait être plus présent sur les réseaux sociaux. Sans jamais perdre le contact avec la rue, bien entendu.

Les sources de Catherine Girouard

«Je suis vieux jeu, mais j'aime encore beaucoup le papier, avoue Catherine Girouard. Je suis abonnée à La Presse, je lis aussi Le Devoir, et je consulte les sites Cyberpresse et Radio-Canada.ca. Bien sûr, je lis d'autres journaux de rue comme La Quête, à Québec.» La nouvelle rédactrice en chef de L'Itinéraire lit également des magazines, dont L'actualité, Les Affaires et Premium. «Twitter était un bon outil quand je suivais les tendances pour Métro, mais maintenant, c'est moins nécessaire. À la télévision, je regarde le Téléjournal, Les grands reportages et Naufragés des villes. Contrairement à bien des gens de mon âge, je ne suis pas très techno. J'ai un téléphone cellulaire ordinaire, j'ai un iPod, mais j'ai arrêté de l'écouter dans le métro parce que je réalise que ça nous isole dans une bulle. Quand on a nos écouteurs, on ne regarde plus personne et on se coupe peut-être d'une conversation qui pourrait naître spontanément.»