Président de l'Association des journalistes indépendants (AJIQ) depuis quatre ans, Nicolas Langelier tirera sa révérence la semaine prochaine. Si les choses se passent plutôt bien pour lui - son livre Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie en 25 étapes faciles est traduit en allemand et sera adapté pour le cinéma -, on ne peut en dire autant des journalistes indépendants qu'il a représentés pendant toutes ces années.

En effet, pas facile de joindre les deux bouts lorsqu'on pratique le journalisme à la pige. Les tarifs n'ont à peu près pas augmenté depuis 15 ans et les conditions de travail demeurent précaires. «On voit apparaître de plus en plus de portails qui embauchent de jeunes journalistes sans trop d'expérience qu'ils paient très mal, note Nicolas Langelier. Et, bien entendu, les conditions sont toujours à prendre ou à laisser. La réalité du quotidien est très difficile, et de plus en plus de jeunes journalistes talentueux quittent le journalisme pour les communications ou les relations publiques. On assiste à une véritable fuite des cerveaux.»

Nicolas Langelier a lui-même pratiquement abandonné la pige. À l'exception de quelques longs papiers pour des magazines comme Elle Québec, il concentre son énergie sur d'autres projets: toujours éditeur du magazine numérique p45, il est également conseiller à l'environnement numérique aux éditions du Boréal et travaille à la conception d'un nouveau magazine qui devrait être lancé l'automne prochain.

Son bilan des quatre dernières années à la tête de l'AJIQ est toutefois positif: «Quand je suis arrivé à l'AJIQ, les gens avaient une image très négative des journalistes indépendants, observe-t-il. On les percevait comme des gens qui étaient indépendants non pas par choix, mais parce qu'ils n'avaient pas réussi leur carrière. Nous avons réussi à changer cette image, en plus de tripler le nombre de membres de l'association et de rajeunir leur moyenne d'âge.»

Ce dont le président sortant est le plus fier, cependant, c'est d'avoir réactivé le recours collectif contre trois éditeurs pour non-respect des droits d'auteur numériques. «La Cour supérieure a autorisé le recours et, entre-temps, sa simple menace a permis de régler pas mal de choses, explique Nicolas Langelier. Nous avons signé une entente avec Gesca, qui est le premier éditeur à avoir adopté un contrat type avec ses pigistes. C'est une victoire.» L'AJIQ a également conclu des ententes à l'amiable avec Le Devoir et CEDROM-SNi, diffuseur d'information de presse sur l'internet.

Sur le plan politique, l'Association s'est rapprochée de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), avec qui elle entretenait une relation tendue. Depuis le congrès de 2009, le président de l'AJIQ siège au conseil d'administration de la Fédération, et les deux groupes échangent sur certains dossiers. «On a également créé les Grands Prix du journalisme indépendant afin que le travail de nos membres soit reconnu et leur donne une raison d'être fiers», ajoute Nicolas Langelier, qui reconnaît que les défis sont encore nombreux. La personne qui lui succédera devra en effet concrétiser l'une des propositions contenues dans le rapport Payette sur l'avenir du journalisme, soit la reconnaissance du droit à la négociation collective des journalistes pigistes, un principe qui accorderait à ces derniers une certaine marge de manoeuvre.

Mais ce ne sera pas Nicolas Langelier qui mènera ce combat. Ces jours-ci, son énergie est presque entièrement consacrée à la réalisation d'un nouveau magazine qu'il devrait lancer dans quelques mois avec deux autres actionnaires. Le concept? Une publication qui se situerait quelque part entre Monocle et XXI, et qui couvrirait la culture, la société et la politique. «J'ai l'intuition que les gens sont prêts à payer pour du contenu de qualité, affirme le journaliste. Nous voulons publier de longs papiers, faire de la critique culturelle approfondie avec des gens qui s'y connaissent. C'est un projet auquel je pensais depuis plusieurs années.» Un projet qui fera sans doute le bonheur de quelques journalistes pigistes.

Les sources de Nicolas Langelier

Ses trois journaux préférés: The Guardian, The Observer (deux quotidiens britanniques) et The Globe and Mail. Amateur de magazines (il a déjà tenu la rubrique magazines à l'émission de Christiane Charette sur la Première Chaîne de Radio-Canada), il aime particulièrement Harper's, Adbusters et N+1 (nplusonemag.com). Il consulte aussi des blogues sur l'avenir de l'édition, dont ceux de Mike Shatzkin (idealog.com/blog) et de Brian O'Leary (magellanmediapartners.com) ainsi que if:book (futureofthebook.org/blog). Enfin, parmi ses baladodiffusions préférées, on trouve celles du magazine Monocle (monocle.com/The-Monocle-Weekly), de l'émission In Our Time de BBC Radio 4 (bbc.co.uk/radio4/features/in-our-time) et de l'émission This American Life de NPR (thisamericanlife.org).