Si Dominique Payette, auteure du rapport sur l'avenir du journalisme au Québec, avait assisté au festival South by Southwest, elle aurait sans doute fait une crise d'apoplexie.

Le rapport de son groupe de travail, rendu public fin janvier, recommandait entre autres de protéger le titre professionnel des journalistes. Ce titre garantirait un niveau de qualité aux lecteurs et des conditions de travail minimales aux journalistes, sans oublier certaines protections aux pigistes qui travaillent hors des grandes boîtes.

C'est simple, cette approche va complètement à contre-courant des grandes tendances observées au Festival South by Southwest depuis trois jours. En effet, plutôt que de suggérer une certaine fermeture de la pratique et de la profession (en réservant un titre à un groupe de professionnels, par exemple), les journalistes qui participent à SXSW sont au contraire en faveur d'une plus grande ouverture.

Un exemple: hier, Jay Rosen, professeur-vedette de journalisme à la New York University, a suggéré d'étendre les lois qui protègent le travail des journalistes à tous ceux qui font un geste journalistique, c'est-à-dire les blogueurs et même les tweeteurs... En d'autres mots, c'est l'acte et non la profession qui serait protégé. Je n'irai pas jusqu'à dire que cette proposition a été accueillie par une ovation, mais personne n'a poussé les hauts cris. C'est une idée qui semble avoir fait son chemin chez les journalistes rencontrés ici.

Pourquoi? Parce que, pour évoluer, les journalistes, ces solitaires, devraient accepter de s'ouvrir et de collaborer. Ce constat est non seulement largement accepté, il est déjà mis en pratique.

Dans TOUS les ateliers portant sur l'avenir du journalisme, on parle de cette nouvelle collaboration avec les lecteurs (des non-journalistes) qui sont aussi les abonnés Twitter et Facebook des journalistes et des médias.

Ces lecteurs, ces consommateurs d'information, sont de moins en moins passifs. Ils font des commentaires, proposent leur propre analyse et deviennent parfois des sources pour les reporters. Les médias doivent donc penser à de nouvelles façons de mettre en lumière leur contribution. On le fait déjà un peu au Québec. Pensons par exemple à Mon Topo à TVA ou encore à Radio-Canada, où un journaliste rend compte des commentaires et propositions des téléspectateurs. C'est un début. Mais certains médias poussent cette approche encore plus loin, comme l'a démontré la révolution arabe.

Ainsi, quand les manifestations ont débuté en Libye, il n'y avait aucun journaliste sur le terrain. Qu'ont fait certains grands journaux comme le Guardian, cet excellent quotidien qui est à l'avant-garde dans l'expérimentation de nouvelles formes de journalisme? Ils ont intégré certains blogueurs crédibles de la région à leur propre couverture des événements. Même approche avec Twitter. L'idée, c'est de bâtir une base de collaborateurs dans différentes régions du monde et sur différents sujets pour ensuite y faire appel lorsque l'actualité le commande, a expliqué ce matin Ian Katz, directeur de l'information au Guardian, dans un atelier intitulé «Turning Journalism Inside Out» (titre on ne peut plus pertinent).

La démonstration la plus spectaculaire et la plus convaincante de cette façon de faire est sans contredit le travail colossal accompli par Andy Carvin (sur Twitter: @acarvin) de NPR (radio publique aux États-Unis). Depuis le début des manifestations en Tunisie, Carvin relaie environ 500 tweets par jour à partir d'une base de contacts fiables dans la région. Avant de retweeter une information, il la vérifie auprès de collaborateurs sur place, blogueurs ou autres.

Sa couverture est saluée partout dans le monde et à SXSW. Le nom de M. Carvin est sur toutes les lèvres (je publierai une entrevue avec Andy Carvin dans La Presse de jeudi). À noter qu'on n'a entendu personne se demander, ici et ailleurs, si Andy Carvin était un vrai journaliste (jusqu'ici, son titre exact est «responsable de la stratégie médias sociaux» chez NPR).

Inutile de dire que, pour réussir à produire un contenu de qualité en intégrant des collaborations locales extérieures, les médias doivent absolument se bâtir un bassin d'excellents lecteurs-collaborateurs. C'est ce qu'on appelle la communauté. Les médias doivent cesser de considérer leurs lecteurs/auditeurs/téléspectateurs uniquement comme un bassin de consommateurs potentiels à qui on peut vendre de la publicité. Ils doivent plutôt trouver des méthodes pour engager la conversation et pour construire une collaboration durable avec eux.

Hier matin, l'auteur Jeff Jarvis poussait la réflexion plus loin en se demandant si les médias ne devaient pas fournir davantage d'outils à leurs lecteurs afin de les inciter à participer davantage. On le voit, la réflexion est très avancée et des médias comme le Guardian ou encore Mother Jones sont déjà en train de faire cette révolution qui est à la fois déstabilisante (du point de vue des journalistes qui doivent revoir complètement leur façon de travailler) et très stimulante. De toute façon, les journalistes n'ont plus le choix. La révolution est déjà commencée...

En bref

Pépites d'information en provenance de SXSW:

> Nous avons entendu des participants dire que Montréal était la ville techno émergente à suivre ces temps-ci...

> Samedi soir, les deux animateurs de Diggnation (revision3.com/diggnation) ont enregistré leur podcast vidéo en direct d'Austin. Hier, c'était au tour des animateurs de la balado-émission Digital Planet de la BBC de faire la même chose.