Pour la majorité des téléspectateurs, regarder la télévision est un divertissement passif. On est assis devant le petit écran, on regarde et on écoute.

Cette époque pourrait bientôt être révolue. En effet, les chaînes de télévision, qui sont à l'affût des cotes d'écoute et des nouvelles tendances, voient bien que les jeunes regardent de moins en moins la boîte noire et de plus en plus leur écran d'ordinateur.

Et quand ils regardent la télévision, c'est souvent en faisant autre chose, comme naviguer sur le web ou échanger des messages avec leurs amis.

Les chaînes de télévision ont donc réagi. Aux États-Unis, plusieurs sites internet de chaînes de télévision tentent de recréer des environnements multitâches pour «occuper» leur auditoire pendant les émissions.

Dans une conférence présentée dans le cadre du Festival South by Southwest, à Austin, il y a quelques jours, les patrons de la chaîne féminine Oxygen et de USA Network sont venus expliquer comment ils multipliaient les outils pour faire intervenir le public en intégrant les médias sociaux et toutes sortes d'activités en ligne. Plusieurs de ces activités peuvent être accomplies pendant la diffusion de l'émission.

Par exemple, à USA Network, on a créé des clubs d'adeptes pour certaines émissions. Ces fidèles abonnés peuvent échanger entre eux, participer à des jeux interactifs et même télécharger une application qui permet d'obtenir des informations exclusives durant l'émission.

C'est aussi l'approche adoptée par Oxygen, qui a observé que leurs téléspectatrices aimaient bien échanger entre copines en visionnant leur émission préférée. On a donc créé des outils de clavardage en direct en plus de proposer au public des jeux et même un site d'achat en ligne, où on peut se procurer des collections de vêtements vus dans les différentes émissions.

Au Québec, les exemples de ce type d'approche sont encore peu nombreux. Bien sûr, il y a les séances de «twivage» qui consistent à tweeter en direct durant une émission. L'animateur Guy A. Lepage a été le premier à le faire durant la diffusion de Tout le monde en parle. Depuis, des animateurs comme Véronique Cloutier ou Marie-France Bazzo échangent elles aussi en direct sur Twitter durant la diffusion de leur émission.

Sur les ondes de V, Un souper presque parfait est un bon exemple d'émission qui utilise les médias sociaux (discussions sur Twitter, page Facebook), avec des cotes d'écoute à l'avenant.

Enfin, VRAK.TV, qui s'adresse directement à cette génération multitâche, propose depuis longtemps déjà des outils de clavardage, des blogues et des jeux autour de différentes émissions. Ce sont là les premières manifestations d'une tendance qui devrait s'accentuer au cours des prochaines années.

On peut se demander si toutes ces activités périphériques représentent une valeur ajoutée ou une formidable perte de temps. Cela dépend. Si on passe une heure à échanger sur le gros nez d'un animateur ou sur la couleur de la robe d'une invitée, on peut parler de futilité. Par contre, si, pendant une entrevue sur un sujet donné - disons la mort d'Elizabeth Taylor -, plusieurs internautes mettent en commun leurs connaissances en partageant des liens sur sa biographie et sa filmographie, au bout du compte, ils auront créé un petit corpus sur l'actrice et sa carrière.

Cette mise en commun de connaissances et de ressources est à l'origine de projets originaux comme Wikipédia, par exemple (dans l'univers télévisuel, la série Les Tudors, par exemple, a son propre wiki).

Vu sous cet angle, on parle d'une activité créatrice plutôt que d'une perte de temps. De consommateur passif, le téléspectateur devient, s'il le souhaite et s'il s'investit, producteur de contenu à petite échelle. C'est là que la télévision dite «sociale» (c'est-à-dire qui intègre les médias sociaux, les nouvelles technologies et l'interactivité) devient intéressante.

Un monde meilleur?

Clay Shirky est un observateur privilégié des médias sociaux. Professeur de journalisme, conférencier, il est également l'auteur de Cognitive Surplus: Creativity and Generosity in a Connected Age. Dans cet essai inspirant, Shirky rappelle que nous vivons à une époque où les êtres humains disposent de beaucoup de temps libre, temps qu'ils passent surtout affalés devant l'écran de télévision. Or, si les gens consacraient une portion du temps passé devant le petit écran à des activités créatrices, on verrait des résultats époustouflants. Wikipédia, par exemple, est le fruit de plusieurs milliers d'heures de travail collaboratif. Or, note Shirky, pour la première fois, l'écoute de la télévision est à la baisse, car les jeunes préfèrent passer leur temps en ligne. Optimiste, l'auteur affirme que ce temps disponible, ce «surplus cognitif», peut contribuer à bâtir un monde meilleur. On peut hausser les épaules et en rire, ou on peut lire le livre, constater les exemples cités par Shirky et... espérer.