«Quand on a un travail, on n'a pas le temps de lire et d'écrire des blogues», a déjà déclaré en substance Jean-François Lisée, directeur du Centre d'études et de recherches internationales (CERIUM) de l'Université de Montréal, au micro de Christiane Charrette. Il s'est ravisé depuis. La semaine dernière, le chroniqueur de L'actualité, ancien journaliste, auteur de plusieurs essais, a remporté un des prix remis par l'Association des éditeurs de magazines, non pas pour ses chroniques, mais bien pour une série de trois billets publiés sur son blogue de L'actualité.

Que s'est-il passé pour que Jean-François Lisée revienne sur ses positions? «L'idée d'un blogue m'est venue en juin 2009, raconte-t-il. Carole Beaulieu, éditrice de L'actualité, m'a dit qu'elle trouvait que j'étais sous-utilisé au magazine. Je lui ai donc suggéré le blogue.»

À l'époque, Jean-François Lisée en fréquentait quelques-uns: Andrew Sullivan, rue89, Paul Krugman, Patrick Lagacé. «Je me suis lancé en me disant que si j'écrivais un blogue, il faudrait absolument qu'il y ait une valeur ajoutée, souligne-t-il. Si j'écris, c'est pour dire quelque chose qui n'a pas été dit ailleurs, et ce, même si c'est le sujet de l'heure. Si je n'ai rien à dire, je n'écris pas.»

Avant de se faire son entrée officielle dans la blogosphère, Lisée a discuté avec Patrick Lagacé. Le blogueur de Cyberpresse a insisté sur deux points importants. «Il m'a dit, le blogue c'est ton univers, il faut que ça te ressemble, explique Jean-François Lisée. Il a également insisté sur l'importance d'avoir des rendez-vous comme sa "pause Kit-Kat" de l'après-midi.»

Bon élève, Jean-François Lisée a donc instauré quelques rendez-vous de son cru comme l'image de 15h15 ou la vidéo de 10h10, deux moments ludiques dans la journée du blogueur qui aborde la plupart du temps des questions politiques et de société.

Au départ, Carole Beaulieu avait estimé qu'il écrirait environ trois fois par semaine, ce qui le fait bien rigoler aujourd'hui puisqu'il alimente son blogue en moyenne trois fois par jour, une tâche qui lui demande environ deux heures de travail quotidiennes.

«Une fois que j'ai une opinion sur un sujet, j'écris très vite, note-t-il. Certains textes sont réglés rapidement, d'autres comme "La laïcité mode d'emploi" peuvent prendre plusieurs semaines. J'écris, je relis, je consulte, je fais relire.»

Pas apolitique

Tout le monde sait que Jean-François Lisée a été le conseiller politique de deux premiers ministres péquistes, Jacques Parizeau et Lucien Bouchard. Le fait que tout le monde connaisse ses positions souverainistes ne l'empêche cependant pas de dormir.

«Je suis en faveur de la transparence totale, lance-t-il. Quand j'écris sur quelqu'un que je connais, par exemple, je le précise à mes lecteurs. Dès le départ, j'ai donc été très clair avec Carole Beaulieu: je ne ferai pas semblant d'être apolitique. Tout le monde sait que je suis souverainiste, je ne m'en cache pas. On peut dire que ma signature est connotée, mais désinhibée.»

En fait, ce qui importe par-dessus tout à Jean-François Lisée, c'est d'être lu. «Le portail de L'actualité est de bonne réputation, mais il n'a pas une grande fréquentation, observe celui qui se définit aujourd'hui comme un auteur engagé. J'ai donc pris mon Rolodex et j'ai envoyé mon blogue à une liste d'environ 6000 contacts. Je l'affiche également sur Facebook où j'ai environ 4000 amis. Je surveille mes statistiques de près, c'est certain. En fait, je passe un peu trop de temps à consulter les statistiques et lire les commentaires.»

Le directeur du CERIUM n'a toutefois pas à s'inquiéter, ses écrits ont de l'impact. À preuve, son intervention vers la fin du lock-out au Journal de Montréal, qui a été prise très au sérieux par les deux parties. «J'avais choisi d'intervenir sous forme d'une lettre ouverte, car c'est plus percutant, explique Lisée. J'ai avisé un des avocats de M. Péladeau que j'écrivais à son client et il m'a rappelé pour me dire que Pierre Karl Péladeau allait me répondre et qu'il m'appellerait sûrement, ce qu'il a fait. La CSN a répondu à son tour et PKP a répondu à la CSN. Un moment donné, je me suis lassé de jouer au postier et j'ai rédigé cinq questions à chaque partie. PKP a répondu, pas la CSN.»

Jusqu'à tout récemment, cette «lettre ouverte à PKP» a été son billet de blogue le plus lu, avec 10 000 visiteurs. Mais Jean-François Lisée a fracassé ses propres records le soir des élections fédérales: son analyse de la victoire du NPD au Québec a été lue par 50 000 personnes. «J'avais commencé à écrire mon texte avant la journée du vote, car je savais que le Bloc ferait élire moins de 10 députés, raconte le blogueur. Le soir des élections, j'étais en ondes à RDI et j'apportais des modifications à mon texte en direct. Je l'ai mis en ligne durant la soirée et j'ai vu la toile des communications croître sous mes yeux. En quelques heures, il y avait 10 000 recommandations Facebook. C'est là qu'on réalise qu'on a dit quelque chose qui rejoint la conscience des gens.»

C'est également le soir des élections que Jean-François Lisée a fait ses premiers pas sur le site de microblogage Twitter, un site qui peut rapidement devenir une drogue dure quand on est intéressé par l'actualité et l'opinion. Il ne loge visiblement pas à la même enseigne que les intellectuels qui méprisent Twitter en le qualifiant de bavardage superficiel. «On critique souvent notre époque en la qualifiant d'ère du clip, mais le clip a toujours existé. Alea jacta est, qu'est-ce que c'est si ce n'est pas un clip? Ce sont les tuyaux qui changent. En quoi la conversation qui se déroule sur Twitter est moins correcte que celle qui se déroule dans un café?»

On peut lire le blogue de Jean-François Lisée à l'adresse suivante: www.lactualite.com/lisee

On trouve également quelques billets de son blogue dans son plus récent ouvrage, Troisième millénaire, bilan final. Chroniques impertinentes de Jean-François Lisée paru aux éditions Stanké.

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Les sources de Jean-François Lisée



Lorsqu'on est directeur du CERIUM et blogueur politique, on doit être hyper informé. Jean-François Lisée profite donc de chaque seconde pour lire un journal ou écouter des baladodiffusions. «Si je suis dans une salle d'attente quelque part, je vais lire le New York Times, Libération ou Le Monde sur mon iPhone. Sinon, j'écoute beaucoup de baladodiffusions: le Radiozapping du Monde, le commentaire d'Alexandre Adler sur France Culture, celui de Nicolas Canteloup ou Olivier Duhamel sur Europe 1. Je lis les chroniques de Marin Wolf du Financial Times. Je suis à la recherche de vecteurs où je vais recueillir beaucoup d'information en peu de temps.» Jean-François Lisée lit également The Atlantic ainsi que les «très bons blogues» du New Republic. Il consulte le site Politico.com, en particulier la semaine en vidéo. Enfin, il enregistre The Daily Show ainsi que le premier segment de The Colbert Report. «Il y a beaucoup d'informations qui passent dans ces émissions», affirme-t-il. Le directeur du CERIUM n'est plus abonné à des magazines papier, mais en achète à l'occasion.